
Quinzième volet
Voyage…
Crue
Il arrive que les troupeaux
sortent du lit de la prairie
et débordent à la fenêtre
28 novembre 2019
L’âge des couleurs
Il y a eu l’âge de l’ocre
des rochers-bulles beige rosé
d’argile douce
Puis la pénombre chatoyante
d’un rouge et bleu de crépuscule
et le cuivre roux des filets de pêcheurs d’enfance
Il y a eu ce bol de lavande bleu
porté chaque matin aux lèvres de l’hiver
Il y a eu l’âge rouge
flamboyant flamme corail
colère
Il y a même eu le rose sushi des devantures
Il y a encore et toujours
ce bleu un peu vert
et ce vert un peu bleu
un autre bleu presque violet
une touche de blanc
pour la lumière
Ce besoin de couleurs
pour accueillir les nouvelles du monde
15 novembre 2019
La nuit décortiquée
Je me suis retournée et
j’ai vu toute la nuit traversée
Mais je ne savais pas que c’était la nuit
il faisait nuit à mon insu
sans prévenir, sans la vouloir
sans faire exprès
Elle n’était pas préméditée
Je le vois bien aux épluchures
maintenant que j’ai tout décortiqué
J’épluche un tout petit pays
où j’ai fait pousser des légumes
et puis cet enfant-fruit
plus grand que tout
4 novembre 2019
Bayadère
Un trait fin
un très fin trait de ciel rose
entre la nuit et l’aube
L’horizon décapsulé
et que jaillisse le jour
Aube/nuit bayadère
La possibilité d’une averse
d’étoiles
3 novembre 2019
Faire comme ci
Un vieux texte de 2012 retrouvé. Je ne l’avais jamais mis dans mes volets. Ecoutez la mise en voix de mon amie Sabine Venaruzzo.
Faire comme si je ne savais pas l’impact de ma dérive
avec les radeaux des mots que j’improvise
les planches offertes des Salut, comment tu vas ? çà et là
qui naviguent sur le même océan
La nuit est habitée d’un peuple de veilleurs
la nuit est habitée de marées qui m’apprivoisent
À flot de solitude la mémoire vive d’une douleur ciselée
aux scalpels de luxe avec vue sur la mer
Toutes ces aspérités à l’origine des écorchures
les blouses blanches blues vertes
Tourbillon tourbillon je m’en viens déposer des Non
dans la spirale d’un carnet de voyage
lalala lalala lalala la lala
Une mélodie enfouie qui revient et tournoie
Je me noie
Tellement de marches à gravir ou dévaler
Avaler tout ce souffle qui me manque
Trouver de l’oxygène
La guitare silencieuse
Vas-y piano
Staccato d’un silence aux couleurs gyrophare
j’ai perdu le souffle de mes mains
j’ai perdu ta connaissance
Bien en deçà de ces reflets superposés
tous ces fantômes auxquels je t’abandonnais
À la mission de chuter coûte que coûte avec toi
il m’en coûtait trop j’ai failli.
Faire comme ci,
comme si pas.
Mise en scène
Pour Sabine
Poèmes, mise en scène
Canaliser le flux de souvenirs
les choses jamais écrites
jamais éteintes
Rivière à laver toutes les camisoles
Les suspendre aux soleils qui ne tarderont plus
puis convoquer le vent
et regarder claquer les couleurs
1er octobre 2019
Serrure
Quel mot-clé insérer
pour déverrouiller le silence ?
12 septembre 2019
Déjà demain
Identifier le cri du renard
râpeux et aigre
dans la gorge du silence
Il est quatre heures sonnées
quatre gouttes tombées du clocher
Il faudrait dormir
C’est le matin tout à l’heure
11 août 2019
Mon chat, ce fils de chien
La chatte s’appelait Miel Miaou, c’est le nom que mon petit garçon de fils lui avait attribué. Nous ne gardions jamais ses petits mais nous avons gardé Jean-Louis. C’est le nom que mon ado de fils lui avait attribué (le même fils, il avait grandi).
Drôle de nom pour un chat mais il n’en était pas à une anomalie près. Car ce chat était dénaturé.
Certes, il avait tout d’un chat normal. Ni plus beau ni plus moche qu’un autre, deux oreilles, une queue, des moustaches, les yeux verts.
Nous l’avons gardé, Jean-Louis, parce qu’il avait la particularité d’avoir été élevé par Wallaye, une de nos chiennes.
En même temps que Miel Miaou, Wallaye s’est tout d’un coup mise à donner tous les signes d’une mise bas imminente. Ventre énorme et montée de lait. Nous étions intrigués, il ne nous avait pas semblé qu’elle attendait des petits, pourtant ! Force fut de constater qu’elle faisait une grossesse nerveuse.
Nous avons trouvé Miel Miaou et Wallaye toutes les deux terrées dans la cave entre les cagettes de pommes de terre et le sac d’orge pour les cochons.
La chatte avait fait quatre chatons, quatre tigrés roux, tout comme elle. Ils se ressemblaient tous.
Nous pouvions repérer Jean-Louis au fait qu’il avait le cou en permanence mouillé. Il était mouillé parce que chaque fois que la chatte s’absentait, Wallaye le prenait par la peau du cou pour le ramener entre ses pattes et lui offrir son ventre aux mamelles gonflées. Elle voulait le faire sien.
Déviance génétique ? Car il faut dire que Ouaga, sa mère, avait elle aussi tenté d’adopter un bébé chat alors qu’elle venait d’accoucher de Wallaye. Elle avait volé un chaton à Miel Miaou qui avait mis bas dans les bambous et avait tenté de l’élever. La chatte venait le reprendre et Ouaga repartait le chercher. J’ai plusieurs fois assisté à leurs aller-retours, le chaton dans la gueule de l’une puis en sens inverse dans la gueule de l’autre. Jusqu’à ce que la chatte abandonne la partie. Hélas, les tétines de la chienne étaient trop grosses pour le bébé chat, il n’a pas survécu, ne pouvant pas téter.
Mais Wallaye avait donc passé les premiers jours de sa vie avec ce frère félin contre son flanc, leurs odeurs de chiot et de chaton mêlées.
Heureusement, elle laissait Miel Miaou lui reprendre Jean-Louis chaque fois qu’elle venait le chercher pour l’allaiter. Ensuite la chienne allait le récupérer pour le ramener contre son ventre.
Elle écartait les pattes lorsque nous venions la voir, comme si elle était fière de le montrer, son beau bébé roux bien nourri qui grandissait ainsi entre deux mères. Chéri et doublement léché.
Lorsqu’il a commencé à marcher et à s’aventurer hors de la cave, Wallaye le surveillait jalousement et le prenant par la peau du cou, ne le laissait pas longtemps dehors, surtout s’il y avait du monde.
Il n’est pas étonnant alors que ce chat ait un comportement de chien. Il me suivait partout puisqu’il suivait mes chiennes. Il attendait à l’ombre d’un chêne, que j’aie fini mon travail comme “sa mère” Wallaye, “sa grand-mère” Ouaga et plus tard “sa sœur” Nawak.
Lorsque je repartais, les chiennes vigilantes m’emboîtaient automatiquement le pas. Mais je ne pensais pas à appeler Jean-Louis qui s’était assoupi quelque part, dans les rangées de haricots.
Lorsqu’il se réveillait et qu’il s’apercevait de notre absence, il remontait à la maison en protestant. Nous l’entendions miauler de tout en haut. Il miaulait tout le long du chemin, manifestement indigné d’avoir été abandonné. Nous ne pouvions pas le voir mais nous pouvions suivre tout son parcours.
Il miaulait en traversant le bosquet de pruneliers, il miaulait en longeant l’enclos des cochons, il miaulait sous l’arcade des bambous, il miaulait toujours en franchissant le seuil de la maison, il miaulait encore en s’affalant sur le carrelage de l’entrée.
Ne nous concédant pas un ronronnement avant très, très longtemps.
10 août 2019
Orée
Tout d’abord on ne voit rien
on n’entend rien
à peine un tintement ténu
à travers les feuillages
Puis la forêt délivre
un long crépitement liquide
comme si elle secouait soudain
tous ses grelots
8 août 2019
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