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Quinzième volet

Voyage…

L’instant

L’instant est un paysage
strié de lavandes
Talus saignés d’échappées d’ocre
sous les racines

L’instant est Guinnevere
mon étrange étrangère, familière
De combien de printemps m’a-t-elle traversée ?
ici rose abricot, et là-bas blanc cerise

6 mars 2021

Page blanche

Je regarde le figuier
il ne frelonne plus
Ses brindilles nues tressaillent
sous le poids-plume des mésanges

Le ciel s’effrite à la fenêtre
Floconfettis

Peut-on se noyer dans son propre silence ?
Je voudrais qu’un rien me traverse

12 janvier 2021

Piano-forte

Je n’ai jamais vu son visage. Je la voyais de trois-quart dos. Elle était à sa fenêtre, menue, penchée sur un piano, ses cheveux blancs roulés en chignon sur la nuque, son cardigan de laine pâle. Je ne me souviens pas de la couleur, rose ou blanc ou bleu peut-être. Couleur layette.
La première fois que je l’ai vue, je revenais du lycée, mon cartable en bandoulière sur l’épaule, il devait être entre dix-sept et dix-huit heures. La musique qu’elle jouait m’était tombée dessus comme une avalanche. Un éboulis de notes. Je m’étais arrêtée pour l’écouter. J’étais surprise, émerveillée. Que pouvait-elle jouer, je n’en sais rien, ignare que j’étais, et suis encore, en matière de musique classique. Bach, Haendel, Chopin, Mozart ? Mon univers à moi, c’était Leonard Cohen et Neil Young. J’étais restée un long moment sur le trottoir, pour le plaisir de l’entendre. Il avait fallu que je m’ébroue, que je rentre chez moi, retrouver mes devoirs à faire, à contre-cœur.
Le lendemain à la même heure, elle était encore là à jouer, et les jours suivants, tous les jours de lycée, lorsque je rentrais chez moi. C’était un rendez-vous qui m’était devenu indispensable. Elle me lavait de Bergson, du théorème de Pythagore, et de la Deuxième Guerre mondiale.
Même l’hiver, lorsque sa fenêtre était fermée, je pouvais l’entendre. Je restais debout sur le trottoir de l’autre côté du portail vert à la peinture défraichie, son jardinet était en friche il me semble, je ne me souviens pas très bien. Il n’était pas fleuri, je crois. Ce que je voyais de l’intérieur de sa maison, c’était un décor vieillot, avec des dorures aux cadres de ses tableaux, une tapisserie à grosses fleurs lourdes sur les murs. Tout ce que je détestais. Mais je la regardais, la vieille dame qui fléchissait le buste sur son piano. Et surtout, je l’écoutais. Même sous la pluie. Ce n’est pas la pluie qui me faisait frissonner.
Et puis il y a eu les vacances. J’avais obtenu mon bac, je n’allais plus au lycée et j’avais déménagé. Pourtant un soir, plusieurs années après, j’ai refait le même trajet, aux environs de dix-sept heures. Exprès. Je pressais le pas pour être au rendez-vous. Mais une palissade se dressait entre le jardinet et le trottoir.
Un gros chantier de démolition. Un immeuble allait remplacer sa maison, qu’un bulldozer avait éventrée. Une pelle mécanique dévorait ce qui restait de façade. Je me suis dit qu’elle était morte. Ça faisait des gravats partout. Jusque dans le cœur.

21 décembre 2020

Le collage lexical

J’aurais voulu faire un collage
de tous les fragments déchirés
Reclouer la lumière
avec un soleil noir
Traduire l’exact impact de la fêlure
Un chemin peut-être
entre trois continents
Un courant d’encre traversière
par-dessus la géographie filigrane
d’une partition
Une feuille aussi
cueillie avant que le vent
n’ait ébroué son arbre

Ce n’est poursuivre qu’un chemin lexical

J’aurais fini par le pétale bleu
d’une vraie écaille de poisson
pour quitter les sentiers battus et rebattus
de ma poésie

1er décembre 2020

Poupée vaudou

Ma première poupée cousue n’était pas vaudouce mais bien vaudou. Si si, vous avez bien lu. Une poupée sur laquelle j’avais fiché plein d’épingles… La seule et unique dans le genre.
Elle était très grossièrement cousue, mais elle était à l’effigie d’un charmant voisin. C’était le beauf de Cabu dans toute sa splendeur crasse. Nous l’appelions le gros dégueulasse.
Il était reconnaissable à son bleu de travail et à sa moustache. Je n’avais pas eu l’idée de lui faire une armature en fil électrique comme mes poupées vaudouces parce qu’il était tellement rigide du cerveau que je n’imaginais pas lui donner la moindre souplesse. De toutes façons, le courant ne passait pas entre nous… Nous l’appelions aussi le résidu secondaire (ne pas confondre avec le terme de “résidence secondaire” que nous utilisions pour nos autres voisins).
Il avait cassé un de nos asperseurs d’arrosage en le flanquant par terre sous prétexte que l’eau débordait sur son terrain. Terrain dont il ne faisait strictement rien et qu’il laissait s’envahir de ronces.
Il avait tué deux de nos poules qui s’étaient échappées chez lui, je le soupçonne d’avoir auparavant ouvert la porte du poulailler…
Il avait massacré nos ruches sous prétexte qu’elles étaient trop proches et qu’il risquait d’être piqué. Avec manifestement un produit rémanent parce qu’aucun nouvel essaim ne voudra y rester.
Il avait mis du fil de fer barbelé en travers de notre champ de pommes de terre sous prétexte qu’on avait dépassé la limite (de cinquante centimètres sur une longueur de cinquante mètres). Il avait attendu qu’elles soient prêtes à être ramassées pour récolter celles qui se trouvaient chez lui.
Il avait roulé avec son 4X4 sur nos potimarrons sous prétexte qu’ils étaient plantés sur un terrain qui lui servait de passage pour accéder à ses… ronces.
Il avait saucissonné à coups de machette sur un kilomètre, le tuyau qui servait à arroser nos cultures. Un tuyau branché à une source à trois kilomètres de là. C’était un été évidemment, bien caniculaire et sec, il avait donc assassiné nos semis…
Il n’arrêtait pas de nous envoyer les gendarmes pour un oui, pour un non. Il réclamait un droit de passage dans notre cour privée pour pouvoir passer avec sa toy-gros-tas car il voulait se garer juste devant sa maison, il ne supportait pas de marcher vingt mètres. Il appelait donc la gendarmerie s’il nous trouvait en train de charger nos cagettes de légumes dans notre voiture, ce qui arrivait invariablement le lundi soir, veille de marché, parce que ça l’empêchait de passer. C’était du harcèlement. Les gendarmes en avaient d’ailleurs marre et ne voulaient plus se déplacer. Parce qu’ils avaient quand même compris quelle sorte d’emmerdeur il était, lui qui voulait se faire passer pour un bon citoyen respectable…
Il voulait nous obliger à enlever le fil électrique qui courait dans les arbres et qui alimentait la clôture électrique dont nous nous servions pour empêcher les sangliers de faire des dégâts dans nos patates et nos carottes. Sous prétexte que ce fil s’accrochait à une branche de SON arbre, un malheureux prunelier le long du chemin.
A propos d’arbre, nous avions un magnifique et généreux figuier à la frontière de nos terrains respectifs. A qui appartenait-il ? Il aurait fallu faire venir un géomètre pour le savoir. Pour nous montrer qu’il était forcément à lui et nous empêcher de cueillir les figues, il l’avait abattu…

Cet individu nuisible vivait le reste du temps dans le Var et je plains ses voisins à l’année car il se vantait d’avoir des procès partout… J’en passe et j’en oublie.
Alors moi sous prétexte qu’il commençait copieusement à m’exaspérer, celui-là, j’en avais fait une poupée vaudou. Sans illusion aucune mais pour me faire plaisir. Je l’avais cousu de toute ma rage.
Il était ventru à souhait et bien mollasson car entièrement en tissu pour pouvoir le cribler d’épingles absolument partout.
La première chose que les copains (tous les copains !) faisaient en arrivant à la maison, était de déplacer les banderilles. Olé !

 

28 novembre 2020

 

Fratrie volée

Il y a cette photo d’elle
elle et la photo, si lumineuses
une déflagration de bonheur
c’était peut-être un instant heureux
ou pas
ou trop

Cette photo est déchirée

Il y a ces photos d’elle
toujours sur ces marches
entre le jardin et les volets
Elle et vous, bébés bouclés dans ses bras
au soleil
Il y a toujours du soleil sur les marches
même en noir et blanc ça se voit

Il y a cette photo de toi portée
par un bras sans visage

Le visage, elle l’a déchiré

Chimie argentique
Quelle est la vérité révélée ?

On peut tout croire
Tout porte à croire

Elle vient souvent rôder autour de cette maison
pour tenter d’apercevoir le jardin
les marches les volets les bébés

Un jour elle est venue
elle a vu
le soleil sur les marches
entre le jardin et les volets
fermés

Il n’y avait plus de bébés

La vérité, c’est la violence

Depuis elle a endossé le silence
Seules les photos crient

Ce silence qu’elle m’a transmis
je l’ai endossé aussi
comme un habit

alors j’écris

et la souffrance a changé de corps

propagée

propagée comme une vague

une lame de fond
en gestation

depuis combien de temps ?

Le temps ne s’est pas arrêté
pour autant

pas tout de suite

Vous avez eu le temps de vous croire abandonnés
J’ai eu le temps de vous savoir

fratrie volée

Elle a eu le temps de survivre
au manque
et vous aussi
Elle a eu le temps de mourir
et toi aussi

Il faudrait que tu reviennes
j’ai les photos que tu cherchais

C’est par donner
qu’elle a comblé le manque de vous
avec nous

comme elle a pu
comme elle a su pourtant

tellement aimante

La vérité, c’est la douceur

S’est-elle sue pardonnée
de n’avoir rien commis ?

24 octobre 2020