Ils ont donc tenu à me faire une IRM cérébrale, pour surveiller l’hypophyse et aussi parce que je leur ai dit que j’avais des hallucinations.
A mon avis, ils ne trouveront rien, moi je crois plutôt que c’est la dose massive de morphine qui m’a fait délirer.
Quand je fermais les yeux, j’étais dans un décor incroyable, des palissades de branches tressées, des canisses de bambous, des branches fines et rouges entrelacées, un peu comme les fils rouges de Chiharu Shiota, c’était très beau. Devant moi se tenaient mon amie Angeline (coucou Angeline, ça va ?) et sa cousine dont je n’ai pas retenu le nom. Elles portaient toutes les deux des boubous somptueux.
J’avais eu au Niger un pantalon dans le même wax que celui que portait Angeline. Ma mère avait eu le même que celui de sa cousine, elle en avait fait un couvre-lit en Côte d’Ivoire. Je pouvais voir tous les détails de leurs boubous. Elles étaient coiffées de belles nattes fines. Elles n’étaient pas les seules, je sentais des présences autour de moi, rien que des personnes noires de peau d’Afrique avec des coiffures rasta très hautes, qui rejoignaient le plafond de branches et s’y mêlaient, elles avaient la même couleur. Tout ce monde marchait pied nus autour de moi sur le sable de l’hôpital (!)…
Angeline manipulait une grande corbeille de branches rouges et c’était un geste très gracieux. Un brancardier poussait mon lit dans les couloirs et nous passions dans ce décor extraordinaire. C’était plein de très beaux tissus partout mais il y avait aussi des sortes de lutins qui sortaient des replis des tissus et qui me regardaient, et d’énormes animaux aussi : des gorilles qui me scrutaient avec leurs petits yeux, une tête monstrueusement grosse au plafond m’observait et ça me faisait un peu peur jusqu’à ce que je réalise que ce n’était pas un monstre mais un éléphant.
Il y avait aussi un petit éléphant noir assis le cul au plafond qui me regardait, la tête à l’envers.
Un hérisson tout plat mangeait des cacahuètes par terre. Il était plat comme un porte-monnaie vide. J’ai pensé qu’il aurait pu avoir une fermeture éclair sur le dos.
Tous ces êtres se grattaient. Les personnes faisaient de grands mouvements de manches pour se gratter et moi j’en aurais bien fait autant parce mes bras et mon torse me démangeaient, ma peau était irritée et à vif partout là où j’avais des pansements et des électrodes oubliées sur mon corps mais j’avais les bras attachés aux perfusions et je ne pouvais pas me gratter. À mon bras gauche, un tensiomètre se déclenchait tous les quarts d’heure (ça, c’est vrai, ce n’était pas une hallucination) et tous les quarts d’heure je sursautais et j’avais une décharge douloureuse dans le ventre.
Je me sentais poussée par le brancardier dans les couloirs de l’hôpital et j’avançais dans ce décor surréel, il me mettait parfois la tête contre les parois d’écorces mais je passais à travers.
Et puis mon fils est arrivé, avec un de ses meilleurs copains. Il m’a dit : Je suis venu avec Morgan, on t’a apporté du CBD, maman.
On m’avait mis dans l’artère du cou, une voie veineuse à plusieurs cathéters pour envoyer les perfusions au plus près du cœur afin que ce soit plus efficace (poches de morphine, deux antibios différents, divers traitements contre la nausée). Je me faisais l’effet d’être un supion avec des tentacules dans le cou. Au bras droit, une perfusion pour la poche d’alimentation et un appareil pour m’injecter une seringue d’anticoagulant.
Plus un tuyau qui descendait dans l’estomac en passant par le nez et une tubulure pour l’oxygène (mais j’oubliais souvent de respirer par le nez).
Kin a envoyé du CBD dans le cathéter du cou et il a disparu. J’étais frustrée, je l’appelais, je lui ai téléphoné mais il n’a pas décroché, il ne devait pas entendre la sonnerie de son portable, dans la voiture. Je crois que j’ai laissé un message. Vous êtes où ? Tu m’as dit que tu es venu avec Morgan mais je ne l’ai pas vu, Morgan, il est resté dans la voiture ? Vous êtes déjà repartis ?
Il faisait nuit noire, j’ai fini par penser qu’ils avaient fui parce qu’ils avaient largement dépassé l’heure des visites.
Le lendemain matin, une infirmière m’a dit, triomphante : Alors, il a marché cette fois-ci, le traitement que je vous ai mis contre la nausée ? Vous n’avez pas eu de nausée, cette nuit ?!
Je ne répondais pas, je n’osais pas lui dire que c’était peut-être le CBD qui avait marché (je n’y ai pas droit, c’est incompatible avec les anti-coagulants).
Kin m’a rappelée — excuse-moi maman, je n’ai pas entendu mon portable.
— Vous êtes repartis vite, je n’ai même pas vu Morgan !
— Repartis d’où, maman ?
On a ri, il était clair que j’avais halluciné. Et ça continuait, dès que je fermais les yeux, je voyais ce décor étrange, Angeline et sa cousine étaient toujours là, les gorilles étaient toujours là, les éléphants et les lutins aussi. J’avais conscience que tout cela n’était qu’hallucination, les brancardiers continuaient à me pousser et à me mettre parfois la tête dans les branches rouges que je traversais sans rencontrer aucune résistance. Je tendais parfois la main pour toucher ces présences à côté de moi et ne touchais rien. Heureusement, je crois que j’aurais hurlé si j’avais touché un bras !
Cet appareil à injecter la poche de nutrition était bruyant. Outre le fait que j’étais obligée de garder le bras bien droit le long du corps, (si j’avais le malheur de plier le coude, il se mettait à biper), Il faisait une musique. J’entendais un chant, une sorte de chœur avec des voix très graves, je pensais que c’était un chant africain. C’était plutôt agréable à écouter.
Une après-midi, alors que j’avais quitté le service des soins continus, j’étais à l’étage de médecine polyvalente, j’ai entendu en bas de l’hôpital, dans le parking, des ouvriers (me semble-t-il) qui écoutaient une radio et dans cette radio, il y avait cette chanson, qui faisait écho à mon appareil à perfusion. Et les ouvriers chantaient, ils la chantaient à tue-tête, cette chanson, ça me faisait rire, c’était joyeux. Je ne pouvais pas encore me lever pour aller voir à la fenêtre. J’ai pensé aussi que c’était peut-être dans la chambre à côté, un patient qui avait le même appareil que moi et qui chantait la musique de cet appareil. J’ai demandé à une infirmière, elle m’a dit
— Actuellement à cet étage, vous êtes la seule à avoir cet appareil.
D’avoir entendu chanter les ouvriers, ça m’intriguait vraiment ! Je n’arrivais pas identifier cette chanson et ça m’agaçait prodigieusement.
L’excitation de la cortisone aidant, j’étais dans mon lit d’hôpital à trois heures du matin, à chercher sur youtube avec mon téléphone portable, quelle pouvait être cette chanson et… j’ai fini par trouver, je crois…
J’étais atterrée d’avoir trouvé ! C’est atterrant, ne rigolez pas !
Ce chant n’avait rien d’africain, c’était… « Le temps des cerises »…
Ensuite je n’ai plus eu besoin de perfusion. La cortisone m’ouvrait l’appétit, je n’avais plus besoin d’être nourrie par voie intraveineuse. Je n’avais plus de nausées et je n’avais plus mal nulle part, on a retiré la morphine. J’avais des injections sous-cutanées d’anticoagulant, puis j’ai recommencé à le prendre en cachet, on m’a retiré toutes les perfusions et on a donc retiré l’appareil. Alors j’ai perdu la musique.
Les animaux et les lutins ne sont pas revenus, Angeline non plus.
quelle aventure ! quelle aventure !
c’est l’hallu.
Peux-tu me donner l’adresse; je sens que j’ai besoin d’une petite IRM.
Tes visions ont l’air beaucoup plus joyeuses que dans « le cercle rouge » quand Montand voit surgir d’un placard des iguanes, serpents, rats, qui montent sur son lit, suite à des prises prolongées d’alcool. (voir dessin que ce film m’avait inspiré : au bout de ma soif)
Ton récit est fabuleux malgré son origine. et tellement savoureux !
Evidemment superbe. C’est faire le choix de vivre sans parenthèse, même dans les moments difficiles. Un étonnement créatif et communicatif. C’est beau, c’est fort, c’est Colette. Bernard
Chère Colette
C’est trop beau ces Hallucubrations
Merci à toi et bonjour à Kin