A port-Gentil, nous habitions près de la mer où une étendue de grumes recouvrait la surface de l’eau sur des kilomètres de long et des centaines de mètres de large.
Après l’école, les devoirs expédiés et un goûter vite avalé, nous partions mon frère* et moi pêcher sur ce ponton géant. Nous avions à peine une ou deux minutes à marcher sur une route goudronnée pour y arriver. Je précise qu’elle était goudronnée parce que c’est pas partout. Equipés chacun d’une ligne sommaire, c’est-à-dire juste une canne, un fil et un hameçon sans bouchon ni plomb, un seau pour ramener notre butin et un mélange de mie de pain malaxée avec de la Vache qui rit en guise d’appât.
Moi c’est ce que je préférais, patouiller la mixture. Pêcher aussi, bien sûr, mais seulement quand ça mordait. Bon ça mordait bien en général. On avait à peine trempé la ligne dans l’eau que l’on sentait la canne plier, le fil tirer, un poids frétillant au bout de l’hameçon. C’était très excitant. Déshameçonner le poisson qui palpitait sans se blesser les mains aux épines dorsales, je savais faire.
Le vider de ses tripailles, je laissais faire Jack. Moi je n’avais pas le droit de me servir d’un couteau.
Cette fin d’après-midi, la pêche ne fut pas vraiment fructueuse. Nous avions laissé pendre nos lignes dans un trou d’eau entre deux rangées de grumes et ça ne voulait pas mordre.
– Faut aller plus loin, dit mon frère.
Nous avons marché et encore marché. Sautillé plutôt, d’un tronc flottant à l’autre. Jusqu’à nous éloigner du rivage. Nous sommes arrivés tout au bout du parc à grumes. Devant nous l’océan, à perte de vue.
Là mon frère a pêché un mandarosse. La nuit allait tomber, il devait être aux alentours de 18 h. Il y avait un gros soleil rouge. Très gros, très rouge et très bas à l’horizon.
Jack a éventré le poisson au-dessus de l’eau, remis le couteau dans la poche de son short.
– Faut rentrer maintenant.
Je rechignais/chouignais, je voulais rester encore un peu parce que je n’avais rien pris. Mais le gros soleil rouge a très vite coulé, plouf, et ce fut la nuit noire.
On voyait là-bas loin quelques scintillements de lampes des rares maisons du bord de mer.
Et la lumière jaune des lampadaires de la route goudronnée mais la distance était trop grande pour qu’ils nous éclairent.
Nous avons rebroussé chemin, sautant d’un tronc à l’autre. Ils tanguaient/roulaient un peu sous les tongs. Soudain nous nous sommes retrouvés devant un trou d’eau. Environ deux mètres nous séparaient des prochaines grumes. Avec nos petites jambes de crevettes de 6 et 10 ans, nous ne pouvions pas franchir cet espace d’eau noire qui clapotait de petites vagues.
Nous avons reculé, cherché un autre passage, mais encore une fois, deux fois, nous nous sommes retrouvés bloqués. Impossible d’avancer pour atteindre le rivage. Jack a fondu en larmes.
– Rhoo mais pleure pas, t’as un poisson, toi.
J’ai dit ça, c’était pour essayer de le consoler mais n’empêche, je l’avais mauvaise d’être bredouille.
Quand même, ça me faisait triste de voir mon frère pleurer. J’aime pas ça, quand les gens pleurent, ça me donne envie de pleurer à mon tour.
Sur la route (qui était toujours aussi là-bas loin), il ne passait pas une voiture. Mais nous vîmes la silhouette d’une personne qui marchait.
Jack se mit à crier :
– Venez nous aider ! On est perdu, on n’arrive pas à revenir !
Je criais aussi :
– Venez, mon frère il pleure !
La personne nous a entendus et est venue nous rejoindre. C’était un jeune homme. On ne distinguait pas bien son visage dans l’obscurité. Je pourrais écrire que l’on voyait ses dents blanches sourire dans la nuit, mais je ne m’en souviens pas et je ne suis pas sûre qu’il souriait.
Il nous a guidés jusqu’à la terre ferme, notre sauveur.
Merci merci, nous lui avons serré la main et nous nous sommes mis à courir, avec nos cannes à pêche et notre seau avec le poisson dedans… dans le sens opposé.
A force d’avoir tourné et viré sur le labyrinthe de grumes, mon frère nous croyait très loin de la maison et ne savait plus du tout où nous étions. Moi non plus évidemment, mais je ne me posais même pas la question, je le suivais sans réfléchir.
Totalement perdus. Au bout d’un long moment, nous avons fini par faire demi-tour parce que décidément nous ne reconnaissions pas le paysage. Il n’y avait qu’une route. En la suivant (dans la bonne direction), nous sommes enfin arrivés à la maison.
La porte était grande ouverte, toutes les lampes de toutes les pièces étaient allumées, le couvert était mis. Il n’y avait personne. Jack a regardé l’heure à la pendule du salon. Tout soulagé qu’il était, il me dit d’un ton léger :
– Il est 9 h. Ils ont dû partir à notre recherche. Bon, ben je vais à la douche.
Ils sont arrivés à ce moment là, nos parents. Ma mère était en larmes.
La première chose qu’elle fit fut de le gifler. Avant de nous prendre dans ses bras.
Mon frère sanglotait. Non pas à cause de la gifle mais d’émotion.
Alors moi aussi parce que j’aime pas ça, quand les gens pleurent.
Après l’école, les devoirs expédiés et un goûter vite avalé, nous partions mon frère* et moi pêcher sur ce ponton géant. Nous avions à peine une ou deux minutes à marcher sur une route goudronnée pour y arriver. Je précise qu’elle était goudronnée parce que c’est pas partout. Equipés chacun d’une ligne sommaire, c’est-à-dire juste une canne, un fil et un hameçon sans bouchon ni plomb, un seau pour ramener notre butin et un mélange de mie de pain malaxée avec de la Vache qui rit en guise d’appât.
Moi c’est ce que je préférais, patouiller la mixture. Pêcher aussi, bien sûr, mais seulement quand ça mordait. Bon ça mordait bien en général. On avait à peine trempé la ligne dans l’eau que l’on sentait la canne plier, le fil tirer, un poids frétillant au bout de l’hameçon. C’était très excitant. Déshameçonner le poisson qui palpitait sans se blesser les mains aux épines dorsales, je savais faire.
Le vider de ses tripailles, je laissais faire Jack. Moi je n’avais pas le droit de me servir d’un couteau.
Cette fin d’après-midi, la pêche ne fut pas vraiment fructueuse. Nous avions laissé pendre nos lignes dans un trou d’eau entre deux rangées de grumes et ça ne voulait pas mordre.
– Faut aller plus loin, dit mon frère.
Nous avons marché et encore marché. Sautillé plutôt, d’un tronc flottant à l’autre. Jusqu’à nous éloigner du rivage. Nous sommes arrivés tout au bout du parc à grumes. Devant nous l’océan, à perte de vue.
Là mon frère a pêché un mandarosse. La nuit allait tomber, il devait être aux alentours de 18 h. Il y avait un gros soleil rouge. Très gros, très rouge et très bas à l’horizon.
Jack a éventré le poisson au-dessus de l’eau, remis le couteau dans la poche de son short.
– Faut rentrer maintenant.
Je rechignais/chouignais, je voulais rester encore un peu parce que je n’avais rien pris. Mais le gros soleil rouge a très vite coulé, plouf, et ce fut la nuit noire.
On voyait là-bas loin quelques scintillements de lampes des rares maisons du bord de mer.
Et la lumière jaune des lampadaires de la route goudronnée mais la distance était trop grande pour qu’ils nous éclairent.
Nous avons rebroussé chemin, sautant d’un tronc à l’autre. Ils tanguaient/roulaient un peu sous les tongs. Soudain nous nous sommes retrouvés devant un trou d’eau. Environ deux mètres nous séparaient des prochaines grumes. Avec nos petites jambes de crevettes de 6 et 10 ans, nous ne pouvions pas franchir cet espace d’eau noire qui clapotait de petites vagues.
Nous avons reculé, cherché un autre passage, mais encore une fois, deux fois, nous nous sommes retrouvés bloqués. Impossible d’avancer pour atteindre le rivage. Jack a fondu en larmes.
– Rhoo mais pleure pas, t’as un poisson, toi.
J’ai dit ça, c’était pour essayer de le consoler mais n’empêche, je l’avais mauvaise d’être bredouille.
Quand même, ça me faisait triste de voir mon frère pleurer. J’aime pas ça, quand les gens pleurent, ça me donne envie de pleurer à mon tour.
Sur la route (qui était toujours aussi là-bas loin), il ne passait pas une voiture. Mais nous vîmes la silhouette d’une personne qui marchait.
Jack se mit à crier :
– Venez nous aider ! On est perdu, on n’arrive pas à revenir !
Je criais aussi :
– Venez, mon frère il pleure !
La personne nous a entendus et est venue nous rejoindre. C’était un jeune homme. On ne distinguait pas bien son visage dans l’obscurité. Je pourrais écrire que l’on voyait ses dents blanches sourire dans la nuit, mais je ne m’en souviens pas et je ne suis pas sûre qu’il souriait.
Il nous a guidés jusqu’à la terre ferme, notre sauveur.
Merci merci, nous lui avons serré la main et nous nous sommes mis à courir, avec nos cannes à pêche et notre seau avec le poisson dedans… dans le sens opposé.
A force d’avoir tourné et viré sur le labyrinthe de grumes, mon frère nous croyait très loin de la maison et ne savait plus du tout où nous étions. Moi non plus évidemment, mais je ne me posais même pas la question, je le suivais sans réfléchir.
Totalement perdus. Au bout d’un long moment, nous avons fini par faire demi-tour parce que décidément nous ne reconnaissions pas le paysage. Il n’y avait qu’une route. En la suivant (dans la bonne direction), nous sommes enfin arrivés à la maison.
La porte était grande ouverte, toutes les lampes de toutes les pièces étaient allumées, le couvert était mis. Il n’y avait personne. Jack a regardé l’heure à la pendule du salon. Tout soulagé qu’il était, il me dit d’un ton léger :
– Il est 9 h. Ils ont dû partir à notre recherche. Bon, ben je vais à la douche.
Ils sont arrivés à ce moment là, nos parents. Ma mère était en larmes.
La première chose qu’elle fit fut de le gifler. Avant de nous prendre dans ses bras.
Mon frère sanglotait. Non pas à cause de la gifle mais d’émotion.
Alors moi aussi parce que j’aime pas ça, quand les gens pleurent.
25 août 2013
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