Soumaré et Mariama nous ont invités au baptême de leur fille.
Soum est journaliste. Mais comme tout Peul qui se respecte, il est avant tout éleveur dans l’âme.
Dans sa cour, il a quatre (ou six ?) moutons et autant de petits agneaux.
Il nous a paru naturel d’agrandir son cheptel en guise de cadeau de baptême. Nous sommes allés au marché de Niamey et notre ami Aliou nous a aidés à choisir la bête : une jolie petite agnelle de trois mois à la laine rase, haute sur ses pattes graciles, habillée noire devant et culotte blanche.
Soum nous accueille dans un majestueux boubou bleu. Des dizaines de tables ont été dressées dans la parcelle de sable fin et blanc, à l’ombre des manguiers. Nous ne sommes pas les premiers, de nombreuses personnes sont déjà assises. Il n’y a que des hommes.
Papa et Maïmouna viennent nous saluer. Papa et Maïmouna ont douze et cinq ans. Ils sont les frère et sœur du bébé, même père, même mère.
Nous sommes immédiatement séparés. Mon compagnon avec l’agnelle dans les bras est entraîné d’un côté, tandis qu’avec mon fils dans les miens, je suis guidée par Maïmouna dans un couloir sombre et frais de la maison.
Elle me fait entrer dans la chambre de Mariama.
Je la connais peu, je connais surtout son mari qui vient souvent seul à la maison.
Il n’y a que des femmes, entassées sur des chaises tout autour du grand lit où est assise la jeune mère.
Je serre toutes les mains tendues, cliquetis de bracelets et pépiements joyeux dont je ne comprends pas un traître mot. Mariama m’invite à m’asseoir près d’elle sur le lit. A côté du bébé.
Maintenant que l’enfant est baptisée, je peux connaître son nom :
             – Elle s’appelle Umu.
Elle dort, Umu, malgré le brouhaha ininterrompu des bavardages. Elle dort sur le dos à minuscules poings fermés. Elle est habillée d’une robe rose fuchsia pleine de volants. Elle est seule à part moi à porter un vêtement européen. Même mon fils porte un pantalon pagne. Je me sens mal à l’aise, dans mon jean-tee-shirt. Ces femmes sont toutes plus élégantes les unes que les autres, dans leurs wax de bazin et de batik colorés. Et je ne comprends rien à leurs conversations en haoussa.
La chambre est spacieuse mais paraît étrécie tant elle est encombrée. Des visiteuses continuent à affluer. Un ventilateur sur pied brasse l’air très parfumé qui émane de cette assemblée.
Une vieille femme entre, une petite calebasse à la main. Elle n’est pas habillée comme les autres. Elle est drapée dans un pagne à l’indigo délavé, au tissage épais et rugueux, déchiré par endroits.
Elle vient directement vers moi et me tend sa sébile. Je secoue la tête, je lui fais comprendre que je n’ai rien. Et c’est vrai, dans mon sac je n’ai pas d’argent. Seulement deux couches de bébé, un gobelet d’eau avec un couvercle et une banane du jardin pour pallier à l’impatience de mon fils au cas où la visite s’éterniserait. Je la trouve gonflée, la dame, de venir mendier ici !
Mais personne n’a l’air de s’en offusquer. Elles ont toutes une pièce à jeter dans sa calebasse.
Je me sens honteuse, de plus en plus déplacée. Je supplie mentalement mon petit de se mettre à brailler comme il sait faire pour avoir le prétexte de me sauver, mais non. Il est désespérément sage. Il n’a pas faim, il n’a pas peur, il n’a mal nulle part. Il tétouille l’étiquette de son doudou en regardant tourner les pales du ventilateur.
Quelques femmes se lèvent, elles demandent la route.*
Elles sortent des billets qu’elles déposent dans un grand panier que je n’avais pas remarqué, sur la table de nuit. Il est déjà assez rempli.
Je voudrais n’être jamais venue là. Je suis furieuse contre moi, contre mon ignorance des rituels, contre les copains.
Putain, Soum, tu aurais pu nous expliquer comment ça se passait un baptême ! Et Aliou ? Au lieu de nous choisir l’agnelle, il ne lui serait pas venu à l’idée de nous dire qu’elle était débile, cette idée-là ? Qu’un cadeau de baptême c’est de l’argent évidemment ! Quoi de plus important que l’argent dans un pays où il en manque tant ?
Je fais un misérable sourire à Mariama :
                – Je ne savais pas, on est venu avec un mouton. Je n’ai pas d’argent.
Et c’est vrai dans mon sac j’ai seulement deux couches, un gobelet, une banane…
Mariama me sourit. Me rit, je devrais dire. Elle est contente, elle s’en fout.
Je profite de ce mouvement de départ pour demander la route à mon tour et je suis soulagée de me retrouver dehors.
Soum nous dira plus tard que les enfants ont donné un nom à l’agnelle d’Umu.
Cette agnelle, qui grandira avec la petite et agrandira le troupeau d’un ou deux agneaux par an, ils l’ont baptisée Je grandis, tu grandis.
* Demander la route : demander la permission de partir
 
8 septembre 2013