 
			Quinzième volet
Voyage…
Le pouls du monde
Ecran clavier 
Prendre le pouls du monde 
Se laisser contaminer par la rage et même 
la haine, je l’assume
Prendre des nouvelles des siens 
des miens 
la mienne 
Il suffit qu’elle écrive hi hi 
sur son clavier 
et moi j’entends son rire de paillettes
alors avril est à la fenêtre
2 avril 2020
Vaudouce
Puisqu’on ne peut se voir 
je pense à vos visages 
la couleur de vos gestes 
l’armature de ce qui nous lie
Je vous invente par cœur 
jour après jour 
maille après maille
Aurai-je assez de laine poivre 
et de fil blond ?
29 mars 2020 
Fausse alerte
Le ciel avait pourtant chaussé sa plus belle colère 
mais il ne nous a pas marché dessus 
Le vent a tout replié 
les nuages et la pluie 
et les mésanges 
empaqueté tout ça 
dans une cape de nuit 
et de silence
Tu les entends, mes acouphènes ?
Mars 2020, un jour de confinement, je ne sais plus lequel ?
Je sais seulement que c’était le jour où le ciel avait chaussé…….
Je veux bien la nuit
Maison panachée de verrières
imberbe de lierre
mais casquée de glycines
et bouclée de lilas
C’est ici qu’on m’a dit
qu’il ne faut pas garder 
les morts sur les épaules
que ce n’est pas leur place
et qu’il faut faire le deuil
Moi je veux bien l’oubli 
si la nuit m’ouvre encore
l’escalier dans la mer
12 mars 2020
Classé sans suite
C’est l’anniversaire de nos couteaux enfouis
Ils s’ aiguisent encore dans mon ventre
chaque fois que reviennent 
d’irrémédiables printemps 
sur le calendrier
Mon premier acte de naissance
a été d’arracher 
des mauvaises herbes de gravier
dans un jardin aux grappes d’escargots
Et j’ai envie de dire merci 
aux noms qui s’effacent
aux chemins qui s’effacent
aux blessures qui s’effacent
tous ces mouchoirs noués pour ne 
pas oublier quoi déjà ?
Que ces vallées d’images s’immolent
au bûcher mathématique de la mémoire
Un désir d’ultime 
et que tout 
soit classé sans suite
6 mars 2020
Giboulées
Le vent rabat dans l’herbe 
des flocons de pétales 
Terre aux paumes froides 
Des touffes de neige ici 
ou là, sous l’étendage 
Il neige sur les fleurs de ta chemise
27 février 2020
La pendule à l’heure
J’ai remis la pendule 
à l’heure de métropole 
ne peux m’empêcher de convertir 
quelle heure est-il maintenant, là-bas ? 
Là-bas c’est déjà demain 
dans la pénombre feutrée des nakamals 
Là-bas c’est encore hier  
là où les paquebots créent des embouteillages 
Me souviens d’un jardin 
et d’un perroquet bleu 
qui me frôlait la main  
et de trois papillons 
sur une fleur de corail 
Ici on n’entend pas la mer 
Seulement les coquillages 
la marée de mon sang
23 février 2020
L’homme de Bora-Bora
Il lançait son déambulateur en avant, à la maigre force de ses bras. Ses jambes suivaient péniblement, l’une après l’autre. C’est comme ça qu’il grignotait le trottoir. Il était en short et en tee-shirt, ses pieds dans des chaussures si noires et si montantes qu’elles me donnaient chaud rien qu’à les regarder. Nous étions en train de frire dans cette rue où nous attendions le bus qui devait nous ramener à Punaauia. C’était le début de l’après-midi, l’heure mordante, sous un soleil plombant. Nous étions debout parmi les femmes aux chignons piqués de fleurs et les lycéens qui attendaient leur bus scolaire. Plusieurs ados avaient les cheveux jaunes seulement au sommet du crâne. C’est manifestement la mode chez les Tahitiens, cette canopée jaune sur la tête. Cartable au dos et, au poing, une grande enceinte portative qui déversait à plein volume la même musique sirupeuse. Courbé sur son déambulateur, le vieux monsieur nous a interpellés, sa voix essayant de couvrir les violents décibels des boomers. 
– Vous parlez français ? 
– Oui ? 
– Tant mieux, a-t-il dit. Il avait manifestement envie de causer. Je sors de l’hôpital, je rentre chez moi. 
– Et vous allez loin ? 
– À Bora-Bora.  
J’avais si chaud que ça m’avait paru titanesque. Nous, nous sortions tout juste d’une agence où nous avions pris des billets d’avion pour Raiatea. À Raiatea, un bateau nous attendrait au centre-ville (!) pour nous emmener sur l’île de Tahaa. Un périple qui enchantait les touristes que nous étions. Mais je me suis demandé comment il fallait faire pour aller à Bora-Bora ? Plusieurs personnes différentes nous avaient déconseillé cette destination-là. Trop touristique, trop bétonnée d’hôtels. Comment va-t-on à Bora-Bora par cette chaleur ? Le vieux Tahitien ne s’est pas arrêté sur notre bout de trottoir pour prendre le même bus que nous, bus qui serait passé par la commune de Faaa où se trouve l’aéroport. 
Il a continué à lancer son déambulateur sur le macadam surchauffé. Peut-être en direction du port ? 
Il a disparu au bout de la rue, dans la foule et la poussière et la fournaise et la cacophonie. 
Je n’ai pu m’empêcher de penser qu’il s’était peut-être échappé d’un EHPAD. 
Je n’ai pu m’empêcher de penser à lui les jours qui ont suivi, chaque fois qu’il nous fallait attendre, au même endroit, le bus de Punaauia. 
Je ne peux m’empêcher de penser à lui encore aujourd’hui . Et je me pose la question, et j’ai envie de la poser à n’importe qui, tout le monde : 
– Dites, le vieux monsieur, est-ce qu’il est arrivé à Bora-Bora ?
5 février 2020
Brèves de Tahiti
Les fleurs sont tissues 
Elles ne faneront plus  
à l’oreille des vahinés
********
Huile de tiaré 
Le soleil est sucré 
sur la peau
********
Et soudain 
le tambour haka 
de la pluie
3 février 2020
Caboter d’une nuit à l’autre
(poèmes acoustiques)
D’abord la mer 
et puis le vent 
illusoirement la pluie 
Ce n’est pas la pluie 
mais le vent 
 et la mer avant tout 
c’est la mer qu’on entend 
dans le désordre bleu 
de la nuit Moorea
********
C’est la nuit, Huahine 
Le lagon est trop lisse 
pour être entendu 
C’est le ventilateur qu’on écoute
********
Au jardin de vanilles 
chants de coqs crescendo 
La mer aux mollets des pilotis 
Le jour se lève à Tahaa
27 janvier 2020
 
					
Commentaires récents