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Quinzième volet

Voyage…

Rallume

Continue ton parcours éphéméride,
ne lâche pas en plein ciel, mon pote !
Attends,
tu as le temps.
Tu attends.
Les secondes passent,
un tic un tac,
elles passent.
Une goutte
une goutte
de sable.
L’inexorable en perfusion.
Je verserai dans ton sablier
des musiques oubliées :
le bruissant du torrent
la volée de midi au clocher du village
le phrasé de tes mains sur la peau des tam-tams.
Et puis
je verserai des paysages éteints :
la lumière du vent
le soleil rouge du soir
l’ombre bleue du chemin.

J’ai gagné pour ce soir.

Dans tes yeux se rallument
les instants retenus.  

Avril 2011

D’hommage

J’aimerais croire au sillage d’un soleil convergeant
Vers les îles qui s’oublient, se perdront
J’aimerais croire aux dissidences atlantides

Tu planes à dix-mille

Dix mille pétales de mai
Les fleurs d’incendies écloses dans la rue
Un peuple déplié

Tu planes à dix-mille

Il est des frontières fermées
Des couloirs interdits
Des rivages où n’abordent que des silences saturés
Dommage

Tu planes à dix-mille

A dix-mille lieues devant
J’aimerais suivre l’épars des oiseaux
Ou la route du sel
Mais partir

Tu planes à dix-mille

Je veux du large, je veux du loin
Loin des cathédrales ardentes
Que nous érigerons à l’Empire que tout
D’hommage  

Avril 2011

La lumière

Ce n’est pas que ça me manque
non
c’est juste là maintenant
cet instant-là précisément
Un afflux de ciel et de vent
le vent portant la voix d’un rire
peut-être
C’est comme une marée montante
un afflux océan de sentiments
ça déborde
C’est parce que la lumière
là maintenant
elle fait des flaques sur la chaux des murs
elle fait des flaques par terre où se vautraient les chiens
Ni de chaux ni rien mais la même lumière
alors j’y pense
Ce n’est pas que la terre me manque
non
mais la lumière…
elle m’envahit dedans
D’une certaine manière c’est la lumière
qui me ramène  

Avril 2011

in L’or saisons aux éditions Tipaza (2018)

Rencontre

Tu as joint ta voix à la mienne avant même d’entrer :
c’est comme ça que tu es arrivé dans mon avril,
la voix d’abord.
La porte s’est ouverte sur mes notes malhabiles,
notre choeur embrasé de pénombre solaire.
Tu as pris une guitare aussi,
la mi-nuit fuyant sous nos doigts sur les repères de nacre.
Dix-sept printemps la vie devant.
Je me souviens du sourire bleu de ton regard
qui répondait, qui répondait
et j’appelais sans te savoir.
Un duo comme un flash,
une photo de mélodie.
Il me restera l’odeur des poivriers,
les chenilles lumineuses des trains dans la vallée
emportant avec elles les étoiles et le ciel
et cet éclair adolescent,
son coup d’éclats de lune foudre.
C’est comme ça que tu es sorti,
ta voix depuis.  

Mars 2011

Il est tôt

Il est tôt
je le sais à la musique d’un clocher aux heures égrenées
je le sais par la voix du muezzin dans le vent
Je mélange tout
un allant vers nulle-part où flotterait un signe
la ligne écrite d’une flottaison de l’arche échouée
Elles me sont drôles, ces images du sacré
moi qui n’ai pas de foi
mais un Toi quelque part
comme une trace d’oubli
Tu es ce bout de chemin parcouru
je ne me rappelle plus
je t’ai au bout de la langue
j’ai le blues inaudible
j’ai la terre étrangère
je n’ai pas le vain triste
Il est tôt et je verrai bien
je suis neuve, effacée, je commence
j’ai le temps  

Mars 2011

Contre-jour

Plus ailleurs encore from C. Daviles-Estinès on Vimeo.
Musique de Sylvia Howard
Vidéo 9 avril 2013

Là où je suis, tu ne peux pas me rejoindre.
Entre hier et demain,
un peu plus, tellement moins.
De la tendresse il resterait une ossature,
une silhouette de mémoire
décalquée sur l’écran permanent des murs que tu longes,
une surenchère de souvenirs détourés au cutter
d’un soleil projeté.
Entre nous,
entretemps,
un aujourd’hui oscille.
Peut-être un souvenir délibérément flou
d’un contre-jour pardonné,
forcément.
Car je te perds à bout de toutes mes forces à venir.
Je déroule la distance de nos silences,
je déroule un chemin de poussières déposées,
impassibles.
Et puis à contre-jour on ne voit rien.
Là où je suis, dedans,
c’est loin.

Texte mars 2011

Captive

J’encours un désir capté
perles bulles fourmillent prises au filet des mots
rosées tactiles sur la peau
seulement amoureuse de l’Amour
ainsi captée troublée comme un reflet dans l’eau
étincelle de toi sur la vague affriole
je soumets l’étrange qui m’habite
je livre comme un livre ouvert
ainsi captées
les sources abondent d’impossibles
essence des sens abandonnée
Je ne sais pas à quoi tu joues
tu joues un ciel de marelles mais j’arise
donner moins de prise au vent
nous portera

Mars 2011

Noon

Bien sûr le contre-courant
la mesure du ressac qui bat
l’horizon inversé tournoyant incliné
la planète en dévers
Je peux toucher l’aube en amont
je peux
J’attarde encore un peu
encore un pas
la terre est jonchée d’éphémères
J’ouvre une porte qui ouvre la porte qui ouvre
Je finirai bien par retrouver le point de départ
l’intersection, la bifurcation
la croisée
Je finirai bien par commencer
Danser une vie buissonnière
dans la marge de la partition
adoucir les aspérités de la lumière
édulcorer la morsure crue
de midi
Revenir, souvenir, survenir
J’arriverai.  

Mars 2011

Je ne sais pas titrer ça

26 mars 1997
Mum a arrêté de souffrir.
J’ai arrêté d’avoir peur.

C’est une histoire absurde.
Une banale histoire qui n’arrive jamais seulement aux autres.

J’ai mal au ventre en permanence.
C’est le mal d’y croire.

Je préférais encore la peur.

Kin a choisi une étoile.
Il dit que c’est l’étoile de Mum.
Et il pleure.

Lumière blafarde à travers la vitre du sas.
Unité protégée, au 4ème étage.
Entrer un par un.
Pas plus de 10 minutes.
Se laver les mains. Bonnet. Masque.
Blouse. Chaussons. Laver les mains.

Rendez-vous avec la peur.

Elle avait une tête de vieillarde avec un regard de petite fille.
Je ne lui avais jamais vu ce regard là.

Elle disait :
– Je suis unau. Tu sais, cette race de paresseux, le singe aux gestes si lents. C’est dans tous les mots croisés.

Elle disait aussi :
– Il ne fallait pas te déranger, tu viens de si loin !

Je voulais qu’elle n’ait pas peur. J’ai dit que j’avais profité du car,
que ça tombait bien, que j’avais des courses à faire.

Cette sonnette dérisoire pour appeler les infirmières.
Près de son bras. Trop loin de sa main.
Et moi derrière mon masque.
Pas le droit de la toucher. Toucher à rien.

La 2ème fois, la machine à sous du parking sinistre de l’hôpital a laissé 12 F à Charles. Il a dit :
– C’est bon signe, il faut les mettre de côté.

Elle voulait un miroir.
Elle essayait de tamponner sa bouche douloureuse avec un coton imbibé de crème. Pas le droit de l’aider. Rien toucher.
Elle n’avait pas la force de tenir le coton dans ses doigts insensibilisés par la chimio, le faisait tomber.
– Pour une esthéticienne, je ne suis pas douée.

Esthéticienne…Retour à Saïgon, années 50, sûrement avant…
Elle avait dit à l’infirmière qu’elle avait tenu avec sa mère, un salon de
beauté au Vietnam.
Elle n’a pas dit l’ Afrique, ni l’ambassade U.S, ni l’ Unicef.
Non, elle a dit esthéticienne à Saïgon.
Une boucle bouclée.
Un regard de petite fille.
Elle aurait voulu un miroir.

Jacques lui a dit que Georges allait venir lundi soir.
– C’est une bonne surprise, hein, Mum?
Je voulais qu’elle n’ait pas peur. Mais elle savait.
Elle a dit à Charles :
– Aide les enfants.

Docteur Otto. Elle est jeune et jolie.
Son regard cherche à savoir dans le mien, jusqu’à quel point je peux entendre ce qu’elle va me dire.

– Est-ce qu’il y a quand même un espoir?
– Elle est trop faible.

Regard désolé. Combien de fois doit-elle prendre ce regard là
pour préparer au désespoir les familles de ses patients ?

Oui, mais elle ne connait pas Mum.
C’est ce que j’essaye de mettre dans mon sourire quand la vitre du sas se rouvre sur le regard inquiet de Charles.
– Elle a repris des couleurs, tu ne trouves pas ?
– Oui, Charles.

Charles et Jacques appelés dimanche soir pour assister au dernier souffle.
Fausse alerte. La respiration de Mum est redevenue régulière.
La morphine coule dans ses veines.

Evidence.

J’ai peur de la pleine lune, bientôt.
Nuit blanche. J’ai peur de dormir.
Si j’arrive à rester éveillée, elle ne partira pas.
Le vent est bizarre, cette nuit. Il vient par rafales soudaines,
de loin en loin, comme un signe, comme un appel.

Georges va arriver. Son vol de Tahiti a 2 h de retard.
Mon seul espoir est que Mum l’attende.
Je sais qu’il sera son passeport.
Au moins ne pas partir sans passeport.

Au téléphone, l’infirmière a dit à Charles :
– Si elle n’est pas dans le service demain matin, c’est qu’elle sera au reposoir…

Nuit. Minuit. L’hôpital.
Unité protégée.
On a un droit de visite permanent, maintenant.
Néon. Le bruit de la vitre coulissante.
On peut rentrer à plusieurs aussi, maintenant.
Bonnet. Masque. Blouse. Chaussons. Laver les mains.
Mais on a le droit de la toucher, maintenant.

Elle dort de morphine.
On lui parle tour à tour, Georges, Jacques, Charles et moi.
Je suis sûre qu’elle nous entend. Je sais qu’elle nous entend.
Elle n’a pas la force de répondre.

Elle a ouvert une fois les yeux, elle a peut-être vu Georges.
Je suis sûre qu’elle nous entend.

Parking crasseux. Ascenceur. 4ème étage.
Vitre de l’unité protégée.
Laver les mains.

Je lui parle, je lui parle.
– Mum je t’aime. Tout le monde t’embrasse. J’ai un cadeau pour toi.
Quand tu seras redescendue au 3ème étage, je pourrai te le donner.
Je t’apporterai un miroir, aussi. Tu es belle.

J’essaye désespérément de passer par dessus son écran de morphine,
de traverser le silence et l’atteindre.

J’ai sa main dans la mienne, mais sa main ne sent plus rien. Alors je lui
touche le front.

Kin a dit :
– Les adultes, ils n’ont plus de parents.

C’est le 2ème soir qu’il m’a dit, dans son lit :
– Elle est là, l’étoile de Mum.

Et il pleure.

Pour quitter l’unité protégée avec sa chambre stérile, pour redescendre au 3ème étage, il fallait que son taux de globules blancs remonte.
Le taux de globules blancs n’est pas remonté mais on l’a quand même
redescendue au 3ème étage, dans une chambre non stérile.
Parce qu’il n’y avait plus rien à faire.

– Vous comprenez, a dit l’infirmière à Jacques, on a besoin de la chambre stérile. Elle mobilise une chambre pour rien…

3ème étage.
Au pied de son lit ils n’ont pas pris la peine de lui mettre une fiche avec courbe de température.
Ils n’ont pas pris la peine de mettre son nom.

Elle a plusieurs fois ouvert les yeux, comme si elle reprenait connaissance.
Je sais qu’elle nous entendait. Elle a même essayé de parler,
mais aucun son n’a franchi ses lèvres desséchées.

Si, une fois. Georges lui a demandé si elle souffrait et elle a dit non.
Elle est encore capable d’avoir menti pour ne pas qu’on s’inquiète.

On l’a tous embrassée. Jacques lui a dit :
– Accroche toi, Mum.

Mais elle était déjà si loin, avec sa respiration arrachée.
J’ai parlé doucement à son oreille. Je lui ai dit :
– A tout à l’heure.
Je lui ai dit :
– Arrête de souffrir.

C’est la dernière fois qu’elle m’a entendue.

Une infirmière nous a donné ses bagues.
Je voulais qu’on les lui laisse. On n’avait pas le droit.
Elle n’avait pas le droit de quitter l’hôpital avec ses bagues.

– Vous les lui remettrez au reposoir.

On ne les a pas remises. Charles a gardé l’alliance et m’a dit de garder l’autre.
Son alliance africaine.

Je porte à mon doigt l’Alliance Africaine de Mum.

Cauchemar.
J’ai fouillé dans les armoires pour trouver un bel habit à lui mettre.
Je pensais à un boubou, mais Charles voulait qu’elle porte une tunique vietnamienne.
Il avait raison, les boubous, elle ne les mettait qu’à la maison.
Il fallait l’habiller pour un grand voyage.

Ne pas oublier sa perruque noire.

Cauchemar.
Elle a l’air de dormir. Je guette un frémissement sur son visage.
L’impression qu’elle va se réveiller d’un instant à l’autre.

On a mis sur son cercueil un collier de Tahiti.

Kin a fini par s’endormir, avec le rideau ouvert, sous l’étoile de Mum.

On pense qu’elle va lui envoyer un joli rêve.

 

Mars 1997