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Quinzième volet

Voyage…

Neger

La canicule de l’été 76, je n’en ai pas un souvenir particulier. Sans doute parce que je venais d’Afrique.
Là, c’était septembre et j’avais froid.
C’était ma première année scolaire en France et j’étais frileuse.
Frileuse de tout. D’une timidité maladive, je n’osais pas aller vers les autres.
Ces 6000 autres côtoyés dans les couloirs interminables du lycée, dans cette cour immense.
Cette classe de terminale où tout le monde avait l’air de se connaître depuis longtemps. 35 élèves. Alors qu’en première A à Brazzaville, nous étions cinq…
La première élève qui m’aborda gentiment, me présenta gentiment à ses gentils copains.
J’étais reconnaissante mais je m’aperçus vite que nous n’avions pas grand chose en commun.
Ils écoutaient Alain Chamfort et Mike Brand. Dur...
J’avais bien repéré une bande au fond de la classe à gauche. Jean-Luc au look de poète, Marie-Pierre solaire, Patrick le plus rigolard de la classe, Dominique très brune et Marion diaphane, Pierre qui ne parlait qu’en onomatopées comme un dessin animé, Oriane qui venait d’une école Freinet et avait un aplomb merveilleux que j’enviais. Ces sept-là animaient la classe avec une gaieté communicative.
Le chahut qu’ils faisaient n’était jamais agressif.
Oriane et Marie-Pierre étaient les plus insolentes, mais elles étaient tellement brillantes et pertinentes que les profs n’osaient rien leur dire.
Ces sept-là écoutaient les Stones et Bob Dylan. Je brûlais d’envie de leur parler mais je m’en sentais incapable.
Le prof d’anglais me demanda un jour de traduire un texte devant tout le monde.
Je ne sais plus de quoi parlait ce texte. Je sais seulement mon cœur battant, le supplice de parler devant un auditoire attentif, zut pourquoi ce silence d’un coup ? Je sais que je bêlais, tant ma voix tremblait. Jusqu’à ce que je bute sur le mot neger dans une phrase.
Neger me ramenait à l’Afrique, à la négritude d’Aimé Césaire et de Léopold Sedar Senghor. Je me suis brusquement revue au Tchad en troisième, en cours de littérature africaine. Dans cette salle de classe à l’encadrement de porte sans porte, aux fenêtres sans vitres, avec de l’herbe qui poussait à nos pieds. De vieux pupitres au bois ridé de fissures multiples.
Je me suis souvenue du prof M. Kherallah qui nous avait tant fait rire le jour où un gros lézard frôla le pied nu d’une élève. La fille avait poussé un cri et bondi sur sa chaise, nous autres avions levé haut les pieds par réflexe et le prof s’était catapulté debout sur son bureau. Il faut dire à sa décharge que ça aurait aussi bien pu être un serpent. Par terre on ne voyait pas bien, juste un mouvement, une froissure dans l’herbe. Vexé de l’hilarité déclenchée, il était redescendu, avait empoigné son livre et s’était mis à nous dicter son cours à toute vitesse. Chose qu’il faisait rarement. Passionné par sa matière, il parlait habituellement plus qu’il ne lisait. Et s’enflammait lorsqu’il s’agissait de Senghor. Sa poésie est très difficile, nous disait-il. Seul un Sénégalais peut réellement la comprendre.
Et de nous parler de l’oeuvre du poète et de négritude. Cette négritude belle, revendiquée.
Et cette phrase sublime qui m’avait bouleversée : Je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France.
Ce vers-là, je le comprenais. Il était universel. Je me le répétais dans ma tête, comme enivrée de sa beauté et du message porté.
Je visualisais ces vieux murs de France décrépits, ces affiches immenses, ces rires banania. J’imaginais Senghor tirant de grands lambeaux de rires et je me rêvais faire comme lui.
Comment traduit-on neger en français ?
Je n’étais plus à N’djamena dans cette classe aux murs éventrés en guise d’ouvertures, avec de l’herbe et des lézards.
J’étais dans un lycée à 4 étages, dans une salle avec du lino par terre, des pupitres en métal graffités, de vraies fenêtres hautes et vitrées.
Toute à mon rire banania, j’ai prononcé le mot nègre.
Une voix a fusé derrière moi, du fond de la classe à gauche. Un mot : raciste.
Je suis devenue toute rouge. La honte de ma vie. J’aurais voulu protester, expliquer, me justifier.
Je me suis coltinée cette étiquette raciste toute l’année. Je me suis coltinée ma solitude.
Jusqu’au mois de juin. Nous avions un emploi du temps plus souple avant les examens. Patrick avait apporté sa guitare. Il jouait du Cat Stevens assis sur le dossier d’un banc de la cour, les six autres chantaient avec lui.
J’étais adossée à un arbre près d’eux (je n’étais jamais loin…).
Je me suis mise à fredonner. Ils m’ont tous regardée comme s’ils me voyaient pour la première fois. Puis ce fut du Simon et Garfunkel, du Neil Young. Je faisais la deuxième voix.
Ensuite, j’ai pris la guitare et nous avons continué à jouer et chanter, nous huit, les jours et l’été qui ont suivi.

24 février 2015

Myope, boiteuse, qui fait du bruit

18 h 30. Je piétine à l’arrêt de bus. J’attends le 4 ou le 7 pour rentrer chez moi.
C’est le 7 qui arrive en premier. Il clignote bleu, c’est à ça que je le reconnais.
Il faut dire que de loin je ne vois pas grand chose.
Et l’œilliste, tu y penses ? Me dit toujours ma copine.
Oui oui, ça fait partie des résolutions du premier de l’an 2013, ça fait 2 ans.
J’ai bien des lunettes dont les verres seraient à changer mais je ne les porte qu’au cinéma en les tenant du bout de l’index parce qu’elle glissent sur mon nez trop court.
Mon amie ajoute invariablement : Le jour où tu te mangeras les poteaux tu te décideras (si si, c’est ma copine).
Je n’en suis pas là quand même, les poteaux je les vois. Ce sont les panneaux qui sont dessus que j’ai de plus en plus de mal à lire. Ou bien ceux des arrêts de bus par exemple. Pour ne pas louper la station où descendre, ça peut être utile, les lunettes.
Pour l’instant je ne descends pas, je monte. En marchant sur la pointe d’un pied parce que j’ai mal à la chaussette gauche, disait mon fils quand il était petit.
Il y a du monde à cette heure-ci, il me faudra attendre PN Gambetta avant de pouvoir m’asseoir à côté d’une dame qui engueule son téléphone. Tout chez elle est pointu. Sa voix, son nez, son menton, ses ongles. Même ses cils épaissis au mascara sont triangulaires. Elle a l’air de ricaner méchamment. Une histoire de clefs. Débrouille-toi, t’avais qu’à pas les oublier.
Les deux sièges devant moi sont occupés par une jeune fille de 16 ou 18 ans et son petit frère.
Elle a enroulé ses longs cheveux bruns autour d’un pic en bois sur le sommet de sa tête, quelques mèches frisottent sur sa nuque fine. Je vois son joli profil quand elle se tourne vers son frère.
Elle pianote des deux pouces sur l’écran tactile de son portable, chaque touche qu’elle frôle s’allume rouge en faisant bip. Je la regarde faire dans la vitre et ça me fascine. Son frère la titille du coude et elle rit.
Un jeune homme est monté dans le bus. Il a des chaussures rouges flambant neuves et le jean crevé aux deux genoux. Un rap grésille dans le casque qui lui couvre les oreilles. Deux femmes juste derrière moi parlent à plein volume.
Mais alors attends, dit l’une, tu sais pas ce qu’il m’dit ? Alors moi j’attends, mais entre le moteur du bus qui redémarre, la gamine devant qui se chamaille bruyamment avec son frère et l’autre, là qui ne veut vraiment pas comprendre depuis tout à l’heure que Non non il n’est pas question que je fasse demi-tour bordel ça t’apprendra, je ne saurai pas ce qu’il a dit. Mais ça devait être drôle, à les entendre pouffer.
C’est à ce moment-là que la jeune fille devant se redresse. Chuut, elle dit à son frère. T’entends ?
Elle reste le doigt en l’air, la tête penchée.
T’entends pas ? Ça fait Tac Tac Tac. Elle bouge son index en rythme. Au rythme de mon cœur, tiens.
Elle se retourne vers nous. Z’entendez pas ?
Ma voisine qui a fini par fermer le clapet en rabattant celui de son portable secoue la tête.
Moi je suis un peu sourde, répond-elle.
La jeune fille me regarde. Je ne dis rien, je tends l’oreille. Avec le brouhaha ambiant ce n’est pas possible qu’elle entende battre mon cœur.
Ecoute, dit-elle à son frère, Tac Tac !
Pas de doute, c’est mon tempo qu’elle bat.
Et alors attends c’est pas fini, dit la femme derrière.
La demoiselle s’est retournée d’un bloc vers moi. Elle me plante le regard khôl dans le mien et me fait un sourire éclatant.
C’est vous ! Ce n’est pas une question, c’est une affirmation.
Incroyable, une ouïe pareille.
      – Tu as oublié d’être sourde, toi !
      – Qu’est-ce que c’est ?
Les deux gosses me mangent des yeux. Il me faut expliquer et répondre à l’avalanche de questions : opération du cœur, valve mécanique, non c’est pas une pile, oui ça fait toujours ce bruit, non les boules Quiès ça ne sert à rien et non on ne peut pas arrêter ça…
Je descends sur la pointe d’un pied à l’arrêt suivant l’habituel parce que voilà je viens de louper le mien, mais cette fois ce n’est pas à cause de ma myopie.

14 février 2015

Le rire aux larmes

Les rares fois où j’ai vu pleurer ma mère – elle pleurait silencieusement, il n’y avait pas de sanglots dans ses pleurs –  j’en étais bouleversée.
Un jour je l’avais ainsi surprise. Elle pleurait pour une raison qui me sera toujours inconnue. Elle m’avait alors souri à travers ses larmes, manière de me rassurer mais le mal était fait.
Quand elle riait, pareil.
Ma mère pleurait toujours lorsqu’elle riait.
Or je ne pouvais – et ne peux toujours pas – regarder une personne pleurer sans craquer à mon tour. Automatique.
De même que le pied shoote par réflexe lorsque l’on donne un coup de marteau sous la rotule, j’ai le cœur qui shoote dans ma poitrine à la vue des larmes d’autrui.
Devant un fou rire aux larmes, je peux fou rire aussi et tout va bien.
Mais avec elle, c’est (ce que je croyais être) sa tristesse qui était contagieuse.
Si encore elle riait aux éclats, mais non. Elle riait sans faire de bruit, il n’y avait pas de hoquets dans son rire. On aurait dit qu’elle souriait sauf que ses yeux débordaient. D’où ma confusion.
Je m’alarmais instantanément.
Des moments comme ça, pendant lesquels nous n’étions pas en phase du tout…
Son hilarité déclenchait chez moi un incoercible chagrin.
A chaque fois il fallait qu’elle m’explique Mais non, je ris !
Je ne m’y habituais pas. Plus elle riait aux larmes plus je fondais de même. Un manque total d’humour.

19 décembre 2014

La neige de Noël

C’était le 25 décembre et j’attendais la neige.
Mon père avait dit qu’il allait neiger, il m’avait montré le ciel.
        – Tu vois, c’est un ciel de neige, ça. Il va neiger.
Il avait répété plusieurs fois en agitant l’index : c’est un ciel de neige.
J’étais surprise parce que le ciel était gris, presque blanc. J’avais 6 ou 7 ans ou 8 ?
Je n’avais encore jamais vu la neige mais dans la période de Noël je la dessinais.
Je dessinais des bonshommes de neige et je peignais toujours un ciel très bleu avec des mouchetis de blanc pour les flocons.
Outre l’excitation de la fête et des cadeaux, je brûlais d’impatience de la voir enfin tomber.
Le Père-Noël,  ça faisait un mois que je n’y croyais plus.
Je l’avais appris à l’école, de la bouche de ma copine Muriel qui elle-même l’avait appris de la bouche de son cousin qui était un grand de 12 ans. J’avais ce jour-là clamé au cours du déjeuner que le Père-Noël n’existait pas. Mon frère m’avait instantanément donné un coup de pied sous la table pendant que mes parents échangeaient un regard consterné.
J’avais alors – oups – fait marche arrière en bredouillant mais bien sûr que si il existe.
J’avais joué le jeu pour ne pas peiner mes parents. Et j’avais écrit ma lettre au Père-Noël.

Cher Papa-Noël
Je voudrais s’il te plaît :

La peluche jaune que on ne sait pas si c’est un chien ou un agneau

             ou (souligné)

Le livre-disque de Bambi parce que maintenant j’ai un mange-disque

            ou

La poupée qui parle

           ou

Les cow-boys ou les indiens mais je préfèrerais les indiens

Je ne me souviens plus si c’est cette année-là que nous avons eu un vrai sapin.
Un vrai de vrai, qui sent la forêt, avec des aiguilles qui piquent.
Il était très grand, très haut, il allait jusqu’au plafond (dans mon souvenir).
On l’avait gardé avec ses boules et ses guirlandes jusqu’à Pâques.
A Pâques on s’était résolu à le défaire parce qu’il était devenu jaune et squelettique et il fallait tout le temps balayer par terre.
Je ne sais plus si c’était l’année du vrai sapin mais Noël est immanquablement lié à son souvenir.
J’ai une mémoire très olfactive aussi : l’odeur des mandarines et celle des bougies que l’on vient d’éteindre.
Je l’avais eue, ma peluche jaune (j’avais décidé que c’était un chien finalement).
J’ai joué aux indiens et j’ai écouté/lu l’histoire de Bambi en attendant la neige mais il n’a pas neigé, ce jour-là.
Le mange-disque c’est le père-noël qui me l’avait offert quelques jours plus tôt.
Un vrai monsieur qui suait dans sa barbe de coton et son costume rouge, lors de la fête organisée pour les enfants du personnel de Transgabon.*

* Transgabon est devenue Air Gabon en 1977

15 décembre 2014

Le rêve

Hier nous avons passé la nuit ensemble, à parler et à rire.
Je dis la nuit parce que c’était la nuit mais en réalité dans le rêve il faisait jour.
C’était le matin et nous étions tous les deux dans un très beau paysage, un peu comme chez toi, un peu comme chez moi.
Tu m’avais dessiné une petite maison. Tu m’as dit : C‘est ta maison, c’est là où tu habites.
J’ai répondu qu’elle manquait encore un peu de fenêtres alors tu en as rajouté une.
Ce n’était plus que de la lumière.
Nous avons entendu des voix et nous avons vu des manifestants contre le barrage de Sivens.
Ils arrivaient par les hautes herbes et nous jetaient dessus des boules de pétanque qui explosaient comme des cocktails molotov.
Nous n’arrivions pas à leur faire entendre que nous étions avec eux. J’ai appelé mon fils pour qu’il leur explique et aussi parce que ça lui plairait d’être là.
Mais ils continuaient à tirer. Alors nous avons sauté par la dernière fenêtre que tu avais dessinée et nous nous sommes réfugiés dans une grange. Nous y avons passé la nuit à parler et à rire.
Je dis la nuit mais il faisait jour. Un faisceau de soleil tombait par le créneau d’un toit éventré et la poussière du foin y faisait des paillettes.
Je dis la nuit parce que j’avais pleinement conscience que je dormais. Et que le jour viendrait avec l’acuité de ton absence.
Si je pouvais toujours rêver comme ça, je n’aurais plus aucune appréhension à dormir.
La nuit, je passerais mes journées à parler et à rire avec toi.

5 décembre 2014

Des racines et du ciel

On m’a dit : Votre problème, c’est ça, vous manquez de racines.
Pour être bien dans votre vie, vous devez prendre racine. Enracinez-vous.
Imaginez que vous êtes un arbre.
Imaginez que vos pieds pénètrent dans le sol. Qu’il en sort des racines qui s’enfoncent profondément dans la terre. Vous allez sentir que vous basculez en avant.
Imaginez alors qu’un fil invisible vous tire le sommet du crâne vers le plafond.
Vous avez des branches qui poussent de votre tête et s’élèvent haut, très haut, jusqu’à toucher le ciel.
Vous vous sentirez basculer en arrière.
Alors j’ai essayé.
Les pieds bien à plat, je me suis enfoncée dans le carrelage. C’est d’autant plus méritoire que le carrelage est froid, j’ai les pieds gelés.
N’ayant pas de tapis, j’ai plié une serviette de bain par terre et j’ai recommencé.
J’ai pensé que je devenais lourde, très lourde. Si lourde, que mes pieds passaient à travers la serviette, les carreaux, le béton. Il ne doit pas y avoir de vide sanitaire là-dessous, sinon je n’aurais pas si froid aux pieds.
Je dis Tais-toi à la voix dans ma tête et je me reconcentre.
Mes pieds sont lourds, donc.
Ils crèvent le béton, je m’enfonce, je m’enfonce. Le froid enserre mes chevilles maintenant.
Je ramasse ma serviette et déménage dans la chambre inoccupée de mon fils où le sol n’est pas carrelé mais en parquet flottant.
C’est par là que j’aurais dû commencer, c’est nettement moins froid.
Je m’enfonce, donc.
Des racines commencent à me pousser aux orteils, à la plante des pieds.
Elles traversent le plancher, fouissent dans la terre (il doit bien y avoir un peu de terre tout là-bas dessous, non ?) et je sens que je bascule en avant.
J’imagine alors que des branches me sortent de la tête et me tirent vers le haut.
Là, c’est plus facile. Je grandis, je grandis, je ne vais pas tarder à toucher le plafond.
Quel arbre suis-je ? Un flamboyant, ça me plairait bien mais les branches s’étalent à l’horizontale.
Au fait, qu’est-ce que je fais de mes mains ?
Je les lève à mi-hauteur, ça fait plus branches.
C’est pas bien un flamboyant ? Plus tard, un flamboyant. Quand tu sauras devenir un arbre bien enraciné en 5 minutes. Parce que pousser à l’horizontale avec le temps que tu mets, tu n’es pas près de toucher le ciel.
Un arbre qui monte au ciel tout direct, je vois un cyprès. Zut, j’aime pas. Ça fait cimetière.
Je veux bien prendre racines mais pas m’enterrer.
Bon alors j’opte pour un chêne. C’est un arbre que je connais bien, je le visualise parfaitement.
Je grandis, donc.
Les branches percent le plafond. Un plafond, deux plafonds, trois plafonds…
Heureusement pour les racines je suis au rez-de-chaussée.
… percent le plafond, donc.
Je touche le ciel maintenant. L’horizon est sans limites et je respire. Il me semble être en terrain connu.
Je sens que je bascule en arrière. Pour rétablir l’équilibre je reviens à mes pieds. J’ai les racines qui pff
Rien à faire.
J’ai bien les pensées qui voguent dans l’océan ciel où les nuages moutonnent mais le problème c’est Est-ce que j’ai vraiment envie de m’enraciner là ?
Sur ce parquet flottant j’ai des racines flottantes qui ne veulent pas s’ancrer.

Il faudrait bien qu’un jour je puisse prendre racine. Prendre racine comme on prend un époux :
il faudrait bien qu’un jour j’épouse ma vie. De plain-pied, sans basculer en arrière.

27 novembre 2014

Mes ados sont toujours heureux à l’heure du repas

Mes ados sont toujours heureux à l’heure du repas.
Le mien n’est pas toujours là, son copain que j’héberge, oui.
Mon colocataire a un appétit gargantuesque et la gentillesse à la mesure de son estomac.
Ces deux-là ne sont pas difficiles, ils aiment tout. Même une bête soupe.

– Ta soupe, elle déchire (trois assiettes chacun).
– Il en reste, tu ne veux pas la finir ? 

Coup d’œil dans la casserole.

– Boh oueuh, ça doit rentrer, ça… (sous-entendu dans l’estomac).
– Ouf ! Ça doit venir de là l’expression gros plein d’soupe.
 
Je pensais qu’ils allaient caler sur les patates sautées (une assiette chacun) mais :

– Les patates comme ça, ça appelle bien un p’tit fromage après.
– Vous avez encore faim ?
– Boh vite fait comme ça…
– C’est un repas de gros (!?), après un repas de gros, le fromage ça l’fait.
– Il envoie, ce fromage…
– Ouais grave !
– Il y a des lychees aussi.
– Waouh, ça fait 20 ans que j’ai pas mangé de lychees (il en a 19).
– Et toi, tu en veux ?
– Autre que… !
– Putain moi faut que j’me mette debout pour faire descendre.
– Moi aussi !

Ils déplient alors tous deux leurs silhouettes à la Duduche
(on se demande où ils ont mis tout ça).

– Bon ben maintenant on va faire une p’tite vaisselle…
– … pour faire digérer …
 
Je suis toujours heureuse de préparer le repas pour mes ados.

14 janvier 2012

Quand c’était où, c’était comment ?

Wellington :
Une couverture rouge et bleue.
Une branche de fleurs dans un vase rond.
Une odeur de pain grillé.

Cannes :
Passer la nuit sous le lit, première cabane
aux parois de paréos (un rêve d’île, déjà ).
Les indiens bien alignés tout du long, prêts à l’assaut.
Cette fois-ci c’est moi qui prends Géronimo !
(t’entends, mon frère ?!)

Port-Gentil :
Le sable comme une farine brûlante
et le varan dans le jardin.
Des petits poissons dans les trous des rochers.
Véga la bleue et Donovan…

Libreville :
Les embruns de sel, chauds et humides
qui font boucler les cheveux,
les noctiluques ******
Et mon premier chagrin d’à mort.

N’Djamena :
Mon meilleur souvenir du Tchad, c’est le Cameroun.
(ben oui…)
Mais le sourire d’ Awa…

Porto- Vecchio :
L’ Amitié coup de foudre avec un énorme A
( plus grand, y a pas ).
Et les guitares qui vont avec.

Brazzaville :
Les premières nuits blanches et les aurores
au bord du fleuve. ******
Neil Young et la saison des pluies…

Nice :
La première impression qui dura longtemps c’est :
qu’est-ce que je fous là ?
Et puis mon premier chagrin d’amour
mais des amitiés qui ne s’éparpillent pas,
pour une fois ( l’avantage de resserrer
la planète autour de soi).

La Tour sur Tinée :
Un jardin quelque part au monde, riche
d’une mémoire tranquille…
Ishtar, l’étoile du berger.

Niamey :
Une lumière Tchad.
Aliou, Solange, Soum…
et puis l’enfant et son métier de la rue :
J’ai gardé ta voiture, patron. Même la poussière,
elle l’a pas touchée !

La maison bleue :
Comment veux-tu faire court ?
Bon d’accord : des nénuphars.
J’aurais bien une liste de noms mais même ça,
c’est une liste à rallonge.
Un rapide calcul mental, ça fait au moins
plus que tout…

Ici maintenant :
Mine de rien, ici c’est ailleurs
et maintenant c’est surtout demain…

Et pour vous, où c’était quoi ?

18 mars 2012

Anticipation

Là où je serai je verrai la crête.
La crête nappée de cette lumière toujours changeante
et pourtant inchangée puisque je la reconnaîtrai.
Je me surprendrai (c’est une façon de parler, je ne serai pas plus surprise que ça) à m’imaginer la franchir, la crête.
Je m’imaginerai regardant au travers des arbres.
Je verrai les murs dressés à l’adret.
Je les saurai désertés, ces murs, ce jour-là.
C’est peut-être pour ça que j’y penserai ?
Je penserai surtout aux fenêtres.
Ce sont les fenêtres que je verrai en premier.
Je verrai l’étincelle du soleil ricocher sur les vitres parce que ce sera l’heure du soleil qui ricoche sur les vitres.
Si jamais il y avait de la musique je l’entendrai, une percu se répercuter – son écho grave ricocher.
Mais il n’y aura personne pour jouer ce jour-là, je le sais.
J’entendrai le clocher qui battra l’air du temps parce que ce sera l’heure ( je ne sais pas quelle heure parce que je ne penserai pas à compter quand il commencera à sonner).
Je verrai – si jamais quelqu’un est venu entretenir le feu – je verrai
la cheminée, la fumée qui s’en échappera.
Une colonne de fumée bien verticale (il ne neigera pas).
Je pourrai entendre les chiens s’ils aboient.

Les chiens…

Là forcément, la question se posera :
Tu veux y aller ?

Et alors forcément, quand la question se sera posée
– elle se posera toute seule, je n’aurai pas l’impression d’y avoir participé, une idée anticipée comme ça, sans prévenir  –
le silence s’imposera dans ma tête.
Un silence envahissant.
Pour une fois, il ne sera pas bavard d’images refoulées,
dans ma tête ce sera blanc.
Ce sera blanc/envahissant longtemps.*
Le clocher aura le temps de se taire.
Il aura même le temps de recommencer à sonner mais comme je serai occupée à ne rien vouloir penser, je ne saurai toujours pas quelle heure il sera.
Et puis je finirai par me répondre.
Par me répondre que c’est comme si je voulais habiter mon absence.
Et que si je veux seulement frôler ma vie, il n’y a pas meilleure façon de m’y prendre.
C’est ça que tu veux ?
Alors je me contenterai (c’est une façon de parler, je ne serai pas plus contente que ça), je me mécontenterai de regarder la crête qui se nappera de nuit.

Et puis il commencera à faire vraiment trop froid parce que c’est l’hiver partout (même dehors).

Alors je me reconduirai toute seule à la frontière, là où les amis m’attendront.
Heureusement.

* C’est pour ça que le texte est long

24 décembre 2011

Extraite

La tête appuyée contre la vitre, je me laisse conduire.
L’épuisement a couché mes pensées.
Je regarde la route défiler, je me dévide de moi-même.
Radio Nostalgie m’enveloppe d’une torpeur sirupeuse.
Mon attention est repêchée par la voix de Mick Jagger qui retentit dans l’habitacle mais le premier refrain d’Angie est l’instant que choisit le chauffeur du taxi pour basculer sur MFM.
Agressivité du jingle.
L’épuisement a couché mes colères.
La perfusion a insufflé la soif dans mes veines.
Je suis possédée par la soif.
Je ne suis plus que cela, d’une chimie inaltérable.
Je ferme les yeux, extraite.
Je revois cet instant, la porte ouverte et son pas franchi :
franchi par le soleil, franchi par le piano porté par quatre amis.
J’en avais été éclaboussée.
Et par le soleil, et par la pensée que c’était le piano du condamné.

Aujourd’hui est plus qu’un sursis.
Aujourd’hui est une vie graciée.
Le salpêtre envahit de saupoudre cristal l’ubac des façades,
la rouille grimpe à l’assaut des volutes forgées,
j’ai franchi le pas à l’envers du soleil.

Le soleil baigne encore ce piano quelque part
où je peinais mes notes.

27 mars 2011