Quinzième volet
Voyage…
Balance ton ehpad
Mon cancérologue est mort d’un cancer après avoir guéri le mien.
Lorsque je l’ai su, je me suis sentie énormément coupable parce qu’un jour je lui avais souhaité de vivre ce que sa chimiothérapie m’avait fait endurer. Coupable et effarée. Je n’en demandais pas tant !
Mais aujourd’hui, pourquoi pas, je pense à toi Dr Machin. Je ne me souviens plus de ton nom, j’avais à cœur de l’oublier. Je ne suis pas sûre de reconnaître ton visage. J’ai pris le soin de l’oublier aussi. Mais puisqu’il me semble avoir ce pouvoir de sorcière, je vais en user. Je vais planter mes aiguilles de mots.
Je te souhaite de vivre ce que j’ai vécu dans ton établissement. Pourquoi maintenant alors que c’était en 2012 ? Peut-être l’actualité # balance ton ehpad ?
Je te souhaite d’atterrir dans une maison de convalescence comme la tienne. Tu entendrais de ta fenêtre, mais où que tu sois, tu l’entendrais, dans la cour aussi, une voix de femme qui geindrait J’ai mal, j’ai mal. Tu serais encore jeune mais amené à côtoyer chaque jour des personnes en fin de vie, tu verras, c’est bon pour le moral.
Cet établissement serait mené par un Dr Truc comme toi. Ce sont les toubibs qui insufflent aux équipes le comportement et l’ambiance, non ? C’est vous les chefs d’orchestre ?
Il sonnait faux, ton orchestre, Dr Machin. Il grinçait. Les soignants se détestaient tous, se dénonçaient, se jalousaient. Ils étaient peut-être épuisés par des horaires inhumains, ils en devenaient inhumains.
Une jeune et jolie infirmière s’était éprise d’un jeune et joli patient. Tu l’avais virée. Ils n’avaient pas le droit de s’aimer, ces deux-là. Je n’ai jamais compris pourquoi.
Tu serais là pour une sciatique, tiens, au hasard, juste comme moi. Tu serais bourré de morphine, en patch et en gélule. Gélule que tu réclamerais toutes les six heures tellement tu aurais mal. Gélule qu’on ne t’apporterait pas, ou (la nuit) seulement au bout de trois heures de supplice parce que le personnel de nuit a autre chose à faire. On te ferait alterner avec une ampoule buvable si amère qu’elle serait en fait imbuvable. Cette morphine elle te ferait dormir dans ton assiette au réfectoire, si on peut appeler ça une assiette et un réfectoire. Plutôt un infectoire. Une salle de restaurant, ils appellent ça. Un chariot au milieu avec les plateaux-repas annotés du numéro de chambre de chacun. Le menu du jour écrit sur un tableau à l’entrée. Très utile pour identifier le contenu en flaque inodore et sans saveur servi dans chaque assiette.
Pour une maison de convalescence c’est fou comme la nourriture passe en arrière-plan.
Une soupe insipide et brûlante chaque soir à 18 heures alors qu’on est pleine période de canicule.
Les crudités, les fruits frais, on ne connaît pas. Il est vrai que les crudités et les fruits ne sont pas surgelables.
Tu serais comme ma voisine de chambre, tu aurais trop de tension. Le Dr Truc aurait allègrement remplacé ton traitement pour la tension par un autre traitement parce que le premier ne vient pas du labo avec lequel il travaille. Ce nouveau médicament ne te conviendrait pas du tout, tu ferais malaise sur malaise. A tel point que les infirmières et les aides-soignants t’interdiraient de te lever. Alors tu ne te lèverais pas à midi pour aller au réfectoire. Mais tu ne m’aurais pas comme voisine qui demanderait à l’infirmière dans le couloir : Avez-vous pensé à apporter un plateau-repas à mon voisin ? Même si tu m’avais eu comme voisine je ne l’aurais pas demandé. Et je ne me serais pas fait fusiller du regard par l’infirmière. Qui m’avait ricané méchamment au nez en me disant:
Alors vous, dès que vous voyez une blouse blanche, vous posez n’importe quelle question idiote ! Je suis infirmière, moi, madame. Je ne suis pas femme de service. Ce n’est pas mon rayon !
– Mais c’est vous qui avez lui avez dit de ne pas se lever. Vous êtes la première à savoir qu’elle n’ira donc pas déjeuner.
J’en avais pleuré. D’autant que dans une chambre voisine, une aide soignante qui donnait la becquée à une vieille dame grabataire hurlait : Non vous ne rentrerez pas chez vous. Vous entendez ? Vous ne rentrerez jamais chez vous !
J’étais descendue au réfectoire en larmes, Machin docteur. Et les copains m’avaient consolée : Tu es trop sensible, il ne faut pas te mettre dans un état pareil. Parce que je m’étais fait des copains. Des convalescents comme moi. Des jambes dans le plâtre qui se déplaçaient en fauteuil roulant.
Toi tu n’aurais pas de copain. Et le jour où tu serais malade parce que tu aurais vomi l’ampoule buvable/imbuvable, tu ne descendrais pas à l’infectoire et là encore, aucun soignant ne penserait à monter ton déjeuner. Tu n’aurais pas de copain, Dr Machin. Et tu ne verrais pas arriver dans ta chambre le jeune gars en fauteuil roulant avec ton plateau-repas sur les genoux en te disant : Ben qu’est-ce qu’il t’arrive ? On a bien vu que tu ne venais pas manger, faut manger pour reprendre des forces.
Un soir, tu aurais un malaise. Le plafond tournerait au-dessus de toi. Tu appellerais l’infirmière de nuit qui te crierait dessus : Eh ben voilà, si vous ne preniez pas tout le temps de la morphine, aussi !
On appellerait le docteur qui te dirait : on ne peut pas vous laisser sortir tant que vous aurez besoin de morphine. Vous en êtes où, là ? Alors les yeux fermés (parce que ça tourne trop), tu dirais que tu as espacé les prises (tu aurais tout bien noté dans un carnet) et tu serais content de pouvoir dire que tu n’en prends plus que toutes les 10 heures, je vais bientôt sortir docteur ? Et là tu ouvrirais les yeux et tu verrais le Dr Truc déjà à la porte, en train de sortir, qui n’aurait pas pris la peine de t’écouter répondre à sa question.
Les seuls soignants humains étaient deux élèves infirmiers. Dont un qui était également aide-soignant. Il était élève-infirmier le jour et aide-soignant de garde la nuit. Je l’ai vu présent plusieurs jours et nuits d’affilée. A se demander comment il ne tombait pas d’épuisement. Il était le seul à me donner la gélule de morphine le soir après le repas, pour que je l’aie à portée de main dès que la douleur se réveillerait sans avoir besoin d’attendre trois heures qu’on me l’apporte. Ne pas laisser la douleur s’installer, il disait. Il s’appelle Nabil. Je crois que lui, je le reconnaitrais. Nabil me racontait qu’il avait fait un stage dans un ehpad pas loin d’ici. Les patients étaient tous des personnes très âgées ou des cancéreux pour qui il n’y avait plus rien à faire. Il me disait que cet ehpad était bourré de centenaires parce qu’ils retrouvaient le goût de vivre, tant l’équipe médicale était formidable. Il me disait qu’il était effaré de voir le manque d’humanité de ton bordel, Machin docteur.
Tous les matins, tu prendrais l’ascenseur pour aller à la salle de kiné. Deux kinés (un homme une femme), ceux que tu avais embauchés tant qu’à faire, tu les connais bien. Je t’en fais cadeau, non non ne me remercie pas, tu verras, y a pas de quoi. La kiné passerait son temps à faire la campagne de Sarkozy (ça serait en période électorale). Nicolas par-ci, Nicolas par-là (elle devait en être amoureuse ?) Mais j’y pense, ça ne doit pas te gêner, ça. Imagine que ce soit une autre kiné alors. Elle passerait son temps à faire campagne pour Mélenchon. Jean-Luc par ci et bla bla. Ça te serait une torture. Ton sac de poids à soulever au bout des chevilles, tu aurais envie de le lui balancer dans la figure.
Ça t’échapperait un jour, tu lui dirais Mais taisez-vous donc… Alors elle te prendrait en grippe forcément et ferait peut-être même exprès de te donner des exercices qui n’ont décidément rien à voir avec la rééducation dont tu aurais besoin.
Car tes kinés donneraient à tous les patients les mêmes exercices à faire, quelle que soient les pathologies. Les sciatiques, les bras cassés, les hernies discales, les jambes cassées…
Et tous de s’étonner que la convalescence soit si longue. Ça durerait des mois et des mois (8 mois pour certains!). Tu penserais, comme tous, qu’il est impossible de sortir de là, un jour. Parfois la nuit, tu monterais sur la terrasse du dernier étage, il y aurait encore cette plainte de femme J’ai mal, j’ai mal mais tu regarderais voler les goélands tout blancs dans le noir du ciel, pour avoir quelque chose de beau, un peu, à vivre.
26 février 2018
Florilège 3
Extraits de lectures choisi(e)s, avec la musique de Benoît Berrou, merci à lui !
Le site de Benoît Berrou
24 février 2018
Carrément matin
Un carré de fenêtre dans un carré de plâtre
un carré de verre dans le carré de fenêtre
un carré de lumière dans le carré de verre
Le vent apporte de très loin
des tranches de silence
qu’un bûcheron tronçonne
19 février 2018
Excusez du trop
Mise en voix de Sabine Venaruzzo le 19 octobre 2020
Déshabiter les mots
je n’ai pas l’habitude
ça me tait
Ces mots sous ma peau
ces verbes de bois brut
à fouiller sous la cendre
avec un tisonnier – de colère, pourquoi pas –
Phrases de silence à peine écorcé
Excusez du trop
Souffler sur la braise
ne pas laisser s’éteindre le feu
À mots couvants
écouter brasiller le poème
12 février 2018
Le petit théâtre
vidéo 25 janvier 2019
Ce ne sont pas des branches sur le mur
mais leur ombre
Ce n’est pas une feuille sur les branches
mais un oiseau
Ce n’est pas un oiseau mais son ombre
Il chinoise
6 février 2018
Drôle de voyage
Assise au soleil illusoire d’une lampe
juste à la cassure du halo et de l’ombre
Les murs canalisent un bruit bleu
Mais c’est l’odeur du froid
qui me réveille
29 janvier 2018
Essaim
La pluie prolonge la nuit
fourvoie la brume dans le vivier des mots
ici ou là
une route, un fleuve
chaque nuit véhicule son essaim d’étoiles
la guirlande d’un village
Rien n’est plus lisible
Lueur à la dérive
du dernier sampan
16 janvier 2018
Il y a un an et six heures de plus
Le ciel a la couleur de l’eau
Toujours ce coup d’épaule de la lumière
qui me transpose il y a un an
et six heures de plus qu’ici
Hier ici j’étais midi
donc j’étais dix-huit heures là-bas
Un lotus tea au Golden rice
Maintenant il est dix-huit heures ici
l’heure du froid
il est minuit là-bas
je cherche un peu de fraicheur
sur la terrasse du toit
Ce soir il sera minuit
six heures du matin là-bas
je te donne rendez-vous
chez le marchand de soupes
à gauche au fond de la ruelle
22 décembre 2017
Pluie
Éclats d’ailes à ma fenêtre
Il pleut à neige fondre
11 décembre 2017
Ah daube premiere elements !
Mon logiciel de montage vidéo fait n’importe quoi depuis quelque temps.
Il neige sur tous mes rushs, je ne vois pas ce que j’importe.
Je ne peux les visionner que lorsque je les glisse sur mon plan de travail. Je m’en débrouillais jusqu’à présent.
Mais seulement voilà : ce soir il remplace mes vidéos par des scènes que je ne connais pas et il les monte n’importe comment.
Il met des visages que je n’ai jamais filmés, ou alors il y a très longtemps, ou alors pas de cette manière-là.
Ce sont des visages que je connais, bien sûr. Des visages de personnes aimées ou au contraire copieusement détestées.
Et je ne contrôle plus rien. Des séquences effrayantes se succèdent à la lecture, des pistes audio s’imposent toutes seules avec une bande son que je n’ai pas choisie.
Alors j’efface, j’importe d’autres rushs, mais c’est chaque fois la même chose. Je vois défiler sur la ligne de scène des maladies, des accidents, des incendies, des deuils.
Je supprime encore, j’insère à nouveau d’innocentes prises de vue que je suis sûre d’avoir filmées mais rien à faire. Mon logiciel inocule des scénarios catastrophe.
Colères tristesses en fondu enchaîné. Gros plans sur mes larmes.
La seule façon d’en sortir est d’éteindre l’écran mais le logiciel ne veut pas s’arrêter. Il persiste à me demander si je veux enregistrer les modifications. Ne surtout pas enregistrer !
Je force alors l’application à quitter.
L’attrape-rêve à ma fenêtre attrape le vent et puis s’envole.
9 décembre 2017
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