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Quinzième volet

Voyage…

Méconnaissable

Aujourd’hui sur mon écran
j’ai regardé passer la mer
Mon enfance noyée
dans ses flancs de détritus
Ressac de plastiques gras

J’ai vu aussi la mer
vomir des naufrages
et des hommes fermer
la porte aux survivants

 

27 octobre 2018

 

Sous scellés

Soudain, volets de nuit
plaqués à chaque fenêtre
Le temps est sous scellés
on n’approche plus que le silence
Ecrire pour absorber les chocs
Tracer un sillon
soc et charrue de mots
dans la chair lactée des étoiles

 

8 octobre 2018

 

Odeurs baoulées

C’était un matin de France
un peu gris, un peu tiède
un peu moite
un peu bleu de ce bleu
dont sont faits les arbres
Avec toi, l’Afrique soudain accessible
à l’odeur d’un plein colis de fruits
et la bouffée d’air froid échappée des valises
et qui sentait l’avion
le bois d’iroko et de fraké
les grains d’un kissoro

Je joue et je rejoue sans fin
la même partie recommencée

27 septembre 2018

 

Un oreiller d’ailes mortes

A flot continu, la lumière
débondée
Musique aléatoire
Les rues  jonchées de petites plumes
flocons d’oiseaux
comme si le ciel avait éventré
un oreiller d’ailes mortes

Veiller encore
dans la distance
entre les paysages dévidés
et la zone d’ombre
cette ombre pansue des maisons
où est assis
où s’épaissit
ce que l’on tente d’oublier

A petits coups déraisonnables
le silence martelé
répète, répète
un brin sans dessus dessous
un brin de sens caché dessous
Dessus est simplement posée
à flot continu, la lumière

23 septembre 2018

Rouge et noir

Tu as effacé ton paysage
désert rouge et noir-couchant
Elle n’avait plus de vitres
la fenêtre adossée au vent

Cette fenêtre posée sur le sable
D’un côté tu avais mis du rêve
de l’autre j’avais des visions
Tu as franchi le cadre nu

Alors toutes les lunes se sont déployées
et la nuit a changé sa trajectoire
Effroyable silence
à en faire éclater le monde

Tu as effacé ton paysage
couchant rouge et noir-désert
La fenêtre adossée au sable
cette fenêtre posée sur le vent

20 septembre 2018

 

A propos de Matrie de Michel Diaz

Matrie couv
MATRIE
Colette Daviles-Estinès
éditions Henry (2018)
« Connaître son origine » écrit Colette Daviles-Estinès au début de la postface à son recueil, posant là, dès ces mots, le sens de la démarche poétique qui conduit son ouvrage et le but de sa quête. Et elle s’en explique: « Bringuebalée sur la planète depuis ma naissance, déracinée, transplantée, déracinée encore et encore, j’ai toujours été fascinée par les gens qui étaient en mesure de dire qu’ils venaient d’un pays particulier, d’une région bien précise, le nom de leur famille est écrit sur les tombes de la moitié du cimetière de leur village. »
Le terme « d’expatriation » n’est certes pas tout à fait synonyme de celui « d’exil », mais il peut recouvrir les mêmes douleurs engendrées par les mouvements tragiques de l’Histoire des hommes et la complexité des relations que ceux-ci entretiennent avec les lieux du monde où ils ont vu le jour, avec le monde, simplement, dans la globalité de son espace. Quoi qu’il en soit, nous voici, dans ce recueil, à l’opposé des sentiments et de la poétique du poète Adonis qui fait de l’exil sa plus précieuse et sa plus forte revendication, sa seule légitimité à être et à écrire, puisque, pour ce dernier, nous ne pouvons, ni ne devons, nous inscrire dans aucun lieu, que l’exil est le seul territoire possible à l’homme et au poète, et que le seul chemin de liberté où il peut avancer est celui de l’errance assumée, vers un lointain inaccessible, son unique patrie.
Evoquant la complexité liée aux origines de sa propre histoire, Colette Daviles-Estinès écrit, quant à elle, dès les premières pages de son ouvrage: « Des années que je porte cette histoire / sans trop savoir / par quel bout la prendre. »
En effet, d’évidence, l’auteure ne sait trop par quel bout la prendre. En inversant les mots « d’aller-retour » pour parler de ses deux voyages au Vietnam où elle est née (et dont elle n’a aucun souvenir), et en en faisant deux « retour-aller », elle indique bien où sont ses vraies racines affectives, celles aussi « du sang », ce territoire qu’elle nomme « matrie » faute de pouvoir revendiquer l’espace d’une plus authentique patrie. Pourtant, en même temps, les courts poèmes qui composent cet ouvrage, consacrés à ces retours vers la terre natale, s’apparentent plutôt à des pages de « carnets de voyage » où s’expriment d’abord l’émotion, l’étonnement et le ravissement de la découverte plus que le sentiment de la re-découverte ou de la re-connaissance de cette terre, puisque celle-ci n’existait que par ce que lui avait légué, de longue date, la mémoire familiale.
« Pour être expatriée, il faudrait d’abord avoir une patrie » dit l’auteure dans le même texte de postface. C’est bien là le problème de tous ceux qui se sentent déracinés, qui se sentent toujours plus ou moins étrangers dans le pays où le hasard des événements les a très tôt jetés, ou celui dans lequel ils ont choisi de vivre, de ceux-là qui, parfois, doivent tout apprendre et, pour les autres réapprendre, de leur pays natal.
Si je puis me permettre ici une très brève parenthèse, je me contenterai de dire que je suis d’autant plus sensible à l’expression de ce déchirement que, partagé moi-même, depuis toujours, entre trois pays, trois cultures, je n’ignore pas que, souvent, on ne peut sauver son identité qu’en revendiquant, comme le fait Colette Daviles-Estinès, son statut de « citoyen(ne) du monde ». Mais j’employais la formule de « carnets de voyage » car la plupart des titres de ces poèmes (et leur contenu) nous permettent de le faire, même nous y incitent, par exemple: « Dubaï Bang-kok », « Hö-Chi-Minh-Ville », « Minh Chan Hôtel » « Niakoué », « Savourer le voyage », « Mékong », « Hôi An », « Baie d’Ha Long », « La dix-neuvième chambre », « Hué, le rêve » ou « Bus de jour ». Pages de carnet poétique à l’écriture exquisément sensible aux objets et formes du monde, aux rumeurs de la vie, des villes et des rues, aux voix qui les animent, aux odeurs, aux saveurs, aux éclats des lumières sur l’eau. On tombe ainsi, à chaque page, sur de savoureuses trouvailles de langage où se condense la plus pure poésie. Celles-là, presque prises au hasard: « je cherche le vent rouge / dans la mémoire du ciel », ou « ce pan de miroir où plisse / une aube de safran », ou « on entend la pluie frire sur les toits », ou encore « Je capte la lumière / qui crawle et se délite / à la surface de tout ce qui onde. »
Ces pages, qui ressemblent davantage à la narration d’une errance qu’à un voyage qui aurait prévu sa destination, sont aussi l’occasion, bien évidemment, d’évocations d’ordre autobiographique qui entrent dans le cadre de la « quête des origines ». Le premier poème, « Puzzle », en pose les premiers éléments, et le titre de quelques autres en consolide le parcours: « Le consulat », « Mamie Louisa », « Mon sang du nord » ou « Au nom des pères ». Là encore, une écriture sûre sait trouver le point d’émotion, comme dans « Hai Phong /…/ Port qui n’en finit pas / de traverser l’écume naphtaline / tous flamboyants éteints ». C’est dans ces textes que la voix de Colette Daviles-Estinès semble retrouver, tout spontanément, comme remontée du fond d’elle-même et à son insu, des accents de petite fille: « Nous avons longé le pâté de maisons / C’est un gros pâté, ta maison, Papa », ou encore, à propos de sa grand-mère: « Je l’imaginais assise en amazone / derrière son prince charmant / sur la croupe d’un cheval blanc ».
Ce recueil de poèmes, dans lequel le regard se tourne vers le visage du pays perdu, retrouvé, et réapproprié par l’écriture, comme l’on reconstruit avec les éléments de la réalité les images d’un rêve, n’est pourtant pas porteur d’une nostalgie qui verserait dans l’effusion. Mais il est l’expression d’une douleur toujours ouverte, ferment d’un « chant profond » où se dit que notre appartenance au monde ne va jamais de soi. Et que, pour y trouver sa place, il faut, pour quelques-uns, y chercher et y labourer son territoire de parole, y déposer ses mots, comme en terre d’asile on pose son bagage pour y trouver quelque repos. Dans ce qu’il offre de matière poétique, ce livre de l’errance est aussi le livre d’une halte, celle d’une mémoire en partie retrouvée, reconstruite, « balayée d’ombre sous le vent » mais offerte un moment à l’apaisement et à ce qu’il permet de possible partage.

Michel Diaz, 13/09/2018