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Quinzième volet

Voyage…

Fin chelou

Il y a près de 17000 km entre ici et le lieu de ta première et dernière demeure et pourtant je pense à toi.
Je pense à ce jour de fête des mères. Tu n’étais pas chez la tienne, de mère, tu étais chez moi.
Tu étais chez moi chez toi. Aux nouveaux arrivants, c’est toi qui faisais visiter ma maison.
Tu m’avais offert un bouquet de petites fleurs cueillies dans nos champs.
C’était quelques jours avant de passer le BEPC. Vous révisiez ensemble, mon fils et toi. Toi, mon fils adopté.
Tu portais à ton cou un sifflet à ultrason avec lequel tu dressais les chiens de troupeau.
Petit berger doué.
Depuis que je suis en Nouvelle Calédonie, tu occupes toutes mes pensées. Surtout depuis que nous roulons vers le nord.
Je ne comprends pas pourquoi tu es si présent, d’une présence harcelante.
On m’a fourni une explication et bien qu’elle paraisse irrationnelle et relever de la sorcellerie, elle me semble la seule plausible.
Tu t’étais fait beaucoup d’amis kanaks à l’armée. Ils te considéraient comme un des leurs. Tu as toujours eu le chic pour te faire adopter. Tu serais même venu ici chez eux, avant d’aller mourir au Mali… il y a 4 ans.
Oh petit con ! Ce n’était pas faute d’avoir essayé de te dissuader de t’engager !

J’avais écrit ce poème pour toi :

Rengagez-vous

Qu’attendais-tu de la guerre ?
Un horizon plus élargi que le ciel des bergers ?
Une déchirure maintenant
L’argent fuselé d’une carlingue dans l’azur
Ta jeunesse brûlée rapatriée
Petit con

Baie de Golone. Ta présence est telle que j’entends ta voix. Tu parles toujours aussi vite en bouffant la moitié des mots. Tu émailles tes phrases d’expressions kanaks.
Ta présence est telle que je t’apostrophe.
– Puisque tu es là, tu pourrais faire un effort et nous indiquer un gîte un peu moins pourri que celui-ci qui ne fournit aucun repas alors que le prochain point d’alimentation se trouve à 25 km !
Une petite épicerie de brousse dans laquelle nous ne trouvons rien de bien folichon.
Nous voilà à ingurgiter une boîte de conserve. Du pâté de poulet (!) bien dégueu…
Ahoua ! C’est fin chelou, dit ta voix.
En allant à Koné, notre étape suivante, nous recherchons le gîte où nous avons réservé une chambre.
Rien n’est indiqué. Je t’entends dire C’est à droite
– Ah tu connais ?
Oui je Koné.
Tu m’obsèdes. J’aimerais que tu me lâches. Tu me parasites les oiseaux.

Mais nous redescendons vers le sud et je sais que je te perds. Je perds ta présence, ta voix, ton sourire ébréché.
Je suis intimement convaincue que c’est dans le nord que se trouvent tes amis kanaks. Ils pensent à toi si fort que j’en ressens l’onde de choc.
Quelque part sur la Grande Terre, des hommes te prononcent et te retiennent, violemment vivant.

21 décembre 2019

Entendre l’aube

Le jour, ici, ne se lève pas
Il vous tombe dessus
comme un vent jaune
et chaud
Il vous prend à pleine peau

Il ne faudrait pas dormir maintenant
Se laisser tirer l’oreille par l’explosion
des cris d’oiseaux de Kanaky

La tôle claque quand le soleil
marche dessus

9 décembre 2019

L’âge des couleurs

Il y a eu l’âge de l’ocre
des rochers-bulles beige rosé
d’argile douce

Puis la pénombre chatoyante
d’un rouge et bleu de crépuscule
et le cuivre roux des filets de pêcheurs d’enfance

Il y a eu ce bol de lavande bleu
porté chaque matin aux lèvres de l’hiver

Il y a eu l’âge rouge
flamboyant flamme corail
colère

Il y a même eu le rose sushi des devantures

Il y a encore et toujours
ce bleu un peu vert
et ce vert un peu bleu
un autre bleu presque violet
une touche de blanc
pour la lumière

Ce besoin de couleurs
pour accueillir les nouvelles du monde

 

15 novembre 2019

 

La nuit décortiquée

Je me suis retournée et
j’ai vu toute la nuit traversée

Mais je ne savais pas que c’était la nuit
il faisait nuit à mon insu
sans prévenir, sans la vouloir
sans faire exprès
Elle n’était pas préméditée

Je le vois bien aux épluchures
maintenant que j’ai tout décortiqué

J’épluche un tout petit pays
où j’ai fait pousser des légumes
et puis cet enfant-fruit
plus grand que tout

 

4 novembre 2019

Faire comme ci

Un vieux texte de 2012 retrouvé. Je ne l’avais jamais mis dans mes volets. Ecoutez la mise en voix de mon amie Sabine Venaruzzo.


Faire comme si je ne savais pas l’impact de ma dérive
avec les radeaux des mots que j’improvise
les planches offertes des Salut, comment tu vas ? çà et là
qui naviguent sur le même océan
La nuit est habitée d’un peuple de veilleurs
la nuit est habitée de marées qui m’apprivoisent
À flot de solitude la mémoire vive d’une douleur ciselée
aux scalpels de luxe avec vue sur la mer
Toutes ces aspérités à l’origine des écorchures
les blouses blanches blues vertes
Tourbillon tourbillon je m’en viens déposer des Non
dans la spirale d’un carnet de voyage
lalala lalala lalala la lala
Une mélodie enfouie qui revient et tournoie
Je me noie
Tellement de marches à gravir ou dévaler
Avaler tout ce souffle qui me manque
Trouver de l’oxygène
La guitare silencieuse
Vas-y piano
Staccato d’un silence aux couleurs gyrophare
j’ai perdu le souffle de mes mains
j’ai perdu ta connaissance
Bien en deçà de ces reflets superposés
tous ces fantômes auxquels je t’abandonnais
À la mission de chuter coûte que coûte avec toi
il m’en coûtait trop j’ai failli.
Faire comme ci,
comme si pas.

Mise en scène

Pour Sabine

Poèmes, mise en scène
Canaliser le flux de souvenirs
les choses jamais écrites
jamais éteintes
Rivière à laver toutes les camisoles
Les suspendre aux soleils qui ne tarderont plus
puis convoquer le vent
et regarder claquer les couleurs

 

1er octobre 2019