Je faisais la queue à la billetterie d’un concert d’Higelin lorsque l’on m’a présenté Charlot.
Dans la file d’attente, il dépassait tout le monde d’une tête. Les cheveux bouclés noirs sur les épaules, les yeux perçants presque transparents à force d’être clairs, le pantalon velours un peu trop court sur ses godillots de montagne.
Il patientait, debout, en lisant Discours de la méthode de Descartes.

Charlot est paraît-il un joueur de trompette. Ou peut-être de saxo, je ne me souviens plus.
Je sais qu’il apprenait aussi à pianoter, et lorsqu’il était à son clavier, ce qu’il déchiffrait habituellement sur le pupitre posé devant lui n’était pas une partition, mais un cours d’anglais.

Il était amoureux à l’époque d’une belle Hollandaise à qui il avait offert un carton plein de bananes parce que les fleurs c’est périssable. Comme il en avait acheté excessivement trop, il avait fait la tournée des copains pour distribuer l’excédent de régimes.

Il travaillait dans une vallée loin de la nôtre mais il lui arrivait de faire des remplacements dans notre secteur. C’est ainsi que quelques années plus tard, nous le vîmes un soir débouler chez nous avec les cheveux aux épaules un peu moins frisottants, un peu plus grisonnants, le regard toujours aussi bleu, son pantalon toujours trop court.
Nous l’invitâmes à notre table puis avant de partir il nous proposa :
— Vous aimez les yaourts aux fruits ? J’en ai acheté pour mon pique-nique de midi et il m’en reste dans la voiture. Et vous voulez une cuillère aussi ? Ça sert toujours, une cuillère. Je l’ai achetée pour manger mes yaourts.
C’est ainsi que nous avons hérité de 34 yaourts (il en avait mangé 2 sur le pack de 36) et d’une grande cuillère en bois.

 

22 juillet 2017