Là où je serai je verrai la crête.
La crête nappée de cette lumière toujours changeante
et pourtant inchangée puisque je la reconnaîtrai.
Je me surprendrai (c’est une façon de parler, je ne serai pas plus surprise que ça) à m’imaginer la franchir, la crête.
Je m’imaginerai regardant au travers des arbres.
Je verrai les murs dressés à l’adret.
Je les saurai désertés, ces murs, ce jour-là.
C’est peut-être pour ça que j’y penserai ?
Je penserai surtout aux fenêtres.
Ce sont les fenêtres que je verrai en premier.
Je verrai l’étincelle du soleil ricocher sur les vitres parce que ce sera l’heure du soleil qui ricoche sur les vitres.
Si jamais il y avait de la musique je l’entendrai, une percu se répercuter – son écho grave ricocher.
Mais il n’y aura personne pour jouer ce jour-là, je le sais.
J’entendrai le clocher qui battra l’air du temps parce que ce sera l’heure ( je ne sais pas quelle heure parce que je ne penserai pas à compter quand il commencera à sonner).
Je verrai – si jamais quelqu’un est venu entretenir le feu – je verrai
la cheminée, la fumée qui s’en échappera.
Une colonne de fumée bien verticale (il ne neigera pas).
Je pourrai entendre les chiens s’ils aboient.
Les chiens…
…
Là forcément, la question se posera :
Tu veux y aller ?
…
Et alors forcément, quand la question se sera posée
– elle se posera toute seule, je n’aurai pas l’impression d’y avoir participé, une idée anticipée comme ça, sans prévenir –
le silence s’imposera dans ma tête.
Un silence envahissant.
Pour une fois, il ne sera pas bavard d’images refoulées,
dans ma tête ce sera blanc.
Ce sera blanc/envahissant longtemps.*
Le clocher aura le temps de se taire.
Il aura même le temps de recommencer à sonner mais comme je serai occupée à ne rien vouloir penser, je ne saurai toujours pas quelle heure il sera.
Et puis je finirai par me répondre.
Par me répondre que c’est comme si je voulais habiter mon absence.
Et que si je veux seulement frôler ma vie, il n’y a pas meilleure façon de m’y prendre.
C’est ça que tu veux ?
Alors je me contenterai (c’est une façon de parler, je ne serai pas plus contente que ça), je me mécontenterai de regarder la crête qui se nappera de nuit.
Et puis il commencera à faire vraiment trop froid parce que c’est l’hiver partout (même dehors).
Alors je me reconduirai toute seule à la frontière, là où les amis m’attendront.
Heureusement.
* C’est pour ça que le texte est long
24 décembre 2011
Tout est dit en demie teinte, en demis mots mais si intuitivement exprimé que l’on ne peut qu’aimer. Merci à toi, ce que tu dis n’a pas de frontière, n’a pas d’époque et n’a pas d’âge. A bientôt, Colette, sur d’autres rives.
il y a, comme ça, ce style, cette manière de dire, de sentir, de dire ce que l’on ressent, cette écriture qui sort d’un cœur, qui en naît même si bien avec ses images, ses sons et ses lumières, si bien que personne d’autre ne peut en être mère… Merci Colette !
Un texte très fort, qui n’a pas besoin d’expliquer le mystère pour être intimement compris, pour être ressenti avec le cœur et l’âme …
Je sens tes mots comme une peine, une nostalgie, un espoir et des craintes, un regret peut-être même… puis un retour à la réalité, adouci par des présences bienveillantes.
C’est beau comme tu le dis tout ça.
Il fait froid mais ton poème réchauffe.