Petite histoire offerte à mon fils pour son 7ème Noël
Quand maman est venue me dire bonne nuit hier soir, dans ma chambre, je ne savais pas encore que j’allais vivre une drôle d’aventure avec Chouchou.
Chouchou, c’est mon Chouchou. Il est toujours avec moi quand je dors, mais aussi quand je voyage. Chouchou c’est le plus beau. Enfin presque… Il est un peu déchiré, en ce moment. Il est aussi moins rouge qu’avant.
Maman l’a souvent recousu. Mais le dernier tissu en pagne qu’elle lui avait mis est tout en lambeaux, maintenant. Tant pis, je l’aime quand même. – Bonne nuit Kin, dit maman, et bonne nuit Chouchou. Oh ben dis donc, il aurait bien besoin d’être recousu, ce pauvre Chouchou !
On s’est fait des bisous et maman a éteint la lumière. Je me suis endormi.
Tout d’un coup, Chouchou me réveille :
– Kin ! Kin ! Viens voir !
J’ouvre les yeux et je vois qu’il fait presque jour. Chouchou me montre la fenêtre. Je regarde dehors. Je vois une mer de nuages. Comme quand on va à l’école, certains matins: la brume envahit toute la vallée, et ce qui est beau, c’est qu’on voit juste les sommets des montagnes. On dirait des îles.
Après, quand le temps passe, la brume disparaît, les îles du matin redeviennent des montagnes. Là, c’est l’heure des îles du matin. Et Chouchou me tire par la manche.
– Viens ! On peut marcher sur les nuages ! me dit-il.
Alors on sort par la fenêtre et c’est bien, de marcher sur la brume.
Le soleil apparaît et se met à rouler sur les nuages, entre les îles du matin. Je me rends compte soudain que le soleil est un ballon. Et derrière ce ballon, un enfant noir court, il pousse le soleil-ballon avec son pied. Puis il shoote dedans et le soleil va se poser dans le ciel.
L’enfant s’approche de moi et me fait un grand sourire.
– Bonjour, je m’appelle Soumaré.
– Moi c’est Kin et lui c’est Chouchou.
Soumaré a un boubou bleu et un bâton sur les épaules, comme en ont les bergers Peuls.
– J’ai l’impression de t’avoir déjà vu, dis-je.
– Peut-être… Est-ce que tu le reconnais, lui ?
C’est alors qu’un lion apparait et je reconnais le lionceau avec lequel je jouais quand j’étais tout petit. Je range prudemment Chouchou sous mon tee-shirt parce que la première petite déchirure, c’est sans doute le lion qui l’avait faite.
Ensuite on se met à jouer, Soumaré, le lion et moi. Soumaré m’offre des dattes à manger et comme on a soif, il nous emmène au bord du fleuve. Je me penche au dessus de l’eau et brusquement, le fleuve change de couleur. Il devient un océan, avec une eau bleue et transparente, et j’ai du sable fin sous mes pieds !
– Chouchou! On est à Moorea !
Chouchou est tellement content qu’il danse déjà le tamouré. Moi, je cherche Soumaré et le lion mais ils ne sont plus là. C’est un enfant tahitien qui se tient à mes côtés.
– Bonjour, je suis Teiki.
– Bonjour, moi c’est Kin, et lui, Chouchou.
– Tu ne te rappelles pas, dit Teiki, qu’on s’est baigné un jour ensemble ? Viens, retournons à l’eau.
On court en riant dans le lagon, et Chouchou boude un peu sur la plage, parce que lui, il n’aime pas trop se mouiller. Teiki plonge au fond de l’eau et remonte une huître à la surface. Dans l’huître, il y a une perle noire.
– Regarde-là de plus près, me dit Teiki.
Je prends Chouchou dans mes bras pour qu’il la regarde aussi, et on met le nez dessus. Tellement près qu’on se voit dedans. La perle brille comme un soleil, elle devient grosse, plus grosse encore, puis toute blanche, éblouissante comme une boule de neige. C’est une boule de neige !
Teiki et le lagon ont disparu. La plage de sable blanc s’est transformée en une immense étendue de neige.
– On est au pôle- Nord ! Crie Chouchou.
On voit alors arriver un petit esquimau sur un traineau tiré par des chiens.
– Bonjour, je m’appelle Inouk.
– Bonjour, moi c’est Kin et lui, Chouchou.
J’étais déjà allé en Afrique et à Tahiti, mais au Pôle- Nord, jamais ! Je me demande si j’ai déjà eu un copain esquimau.
– Je te connais ? dis-je à Inouk.
– Non, pas encore. Mais peut-être qu’on se connaitra, si tu en as envie.
– Oh oui, j’ai envie !
– Alors viens, je t’invite dans mon igloo.
Chouchou et moi, on monte sur le traineau avec Inouk, et on est tout content ! Mais la neige redevient brume, Inouk, le traineau et les chiens fondent au soleil qui roule sur les nuages.
Devant nous, une eau lisse et verte. Les îles du matin ont pris une autre forme, elles sont toutes pointues. Je reconnais alors un paysage du Vietnam que j’avais vu en carte postale.
– On est dans la baie d’Along ?!
– C’est ça, dit une voix d’enfant derrière nous.
C’est une petite fille aux yeux bridés qui nous regarde, du haut de sa maison sur pilotis. Elle nous invite à grimper.
– Bonjour, je m’appelle Tiang.
– Moi c’est Kin, et lui, Chouchou.
– Je suis entrain de manger, dit Tiang, as-tu faim ?
– Oh oui !
Elle me tend un bol de riz, et je suis très embarrassé car elle me tend aussi une paire de baguettes, et je regrette alors de ne pas m’être entrainé plus, à la maison. Je suis un peu maladroit pour manger avec des baguettes.
– Mange avec tes doigts, dit une voix.
Je lève la tête et m’aperçois avec surprise que Tiang n’est plus là. C’est une autre petite fille en face de moi. Aussi brune que Tiang, mais avec une natte très très longue.
Je ne suis plus dans la maison sur pilotis.
– Mais qui es-tu ?
– Je m’appelle Vasanthi.
– Oh! Comme ma cousine !
– Ta cousine est indienne ?
Je comprends alors que cette fois-ci, je suis au pays de Mowgli.
– Moi c’est Kin, et lui, Chouchou. Dis, c’est vrai qu’ici on peut monter sur le dos des éléphants ?
– Mais oui, dit Vasanthi, demain je t’emmènerai. Mais c’est l’heure de dormir, maintenant. Allonge toi sur la natte.
C’est vrai que j’ai drôlement sommeil ! Je me couche sur la natte avec Chouchou, tout heureux à l’idée d’aller me promener sur un éléphant. Et je m’endors d’un coup.
– C’est l’heure, Kin, dit Vasanthi.
Je me réveille, mais je suis dans mon lit et c’est la voix de maman. Chouchou est tout contre moi, tout bien recousu avec un nouveau tissu.
– Oh maman! Chouchou, il est en paréo !
– Eh oui ! Je l’ai rhabillé pendant que tu dormais.
Je regarde maman d’un drôle d’air. Je suis très déçu de n’avoir vécu qu’un rêve. Je regrette mes amis, le lion, le traineau tiré par les chiens, l’éléphant… Je regarde Chouchou qui fait semblant de dormir.
– Dis, Chouchou! C’était pas un rêve ?
Mais Chouchou ne dit rien. Peut-être qu’il boude un peu aussi. Je prends mon petit-déjeuner, je me lave, je m’habille comme tous les matins, mais j’ai encore la tête dans les nuages. Je n’arrive pas à croire que ça n’était qu’un rêve. J’ai envie de retrouver Teiki, Vasanthi, Soumaré, Inouk et Tiang.
Et s’ils existaient pour de vrai, quand même ?… Et moi qui n’ai pas eu le temps de leur dire de venir chez moi, eux qui m’avaient invité dans leur pays ! Comme j’aimerais les revoir !
Sur la route de l’école, il fait un peu sombre parce que c’est bientôt l’hiver. Le jour se lève à peine, et je vois la mer de brume. Et je vois le soleil rouler sur les nuages entre les îles du matin. Et Chouchou est en paréo…
Novembre 1999
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