Quinzième volet
Voyage…
Le téléphone
Je ne peux plus lui téléphoner. Je n’y arrive plus. Elle se répète tellement…
Bien sûr c’est normal à son âge, de se répéter, d’oublier ce qu’elle m’a dit hier et avant-hier et avant avant-hier et tout à l’heure.
Invariablement, lorsque je l’appelle, elle me dit qu’elle pensait à moi, elle est justement en train de regarder une photo de nous en Nouvelle-Zélande. Je la crois sans peine, je sais qu’elle l’aime, cette photo. J’ai un an dans ses bras et mes frères sont à côté d’elle.
Et puis elle me dit Tu connaites la maman de Jackie ? (Je l’écris comme elle le prononce).
Ensuite elle dit Tu connaites Jackie et Georges ? et ça me terrifie.
Chaque jour, elle me pose les mêmes questions. Elle oublie peut-être à qui elle s’adresse, bien qu’elle reconnaisse ma voix tout de suite à chaque appel ?
La dernière fois, j’ai fini par lui répondre irritée, que non, je ne les connaissais pas. Elle m’a dit ah, tu ne t’appennes pas (traduction :tu ne te rappelles pas), tu étais trop pitite.
Je n’arrive plus à lui téléphoner. Je ne veux plus qu’elle me demande si je connais mes frères.
9 janvier 2022
Froid
Un soleil frileux est venu
il a essuyé la neige des arbres
il a mis du ciel aux fenêtres
et ouvert un couloir de vent
Tout l’hiver du monde
s’est engouffré là
11 décembre 2021
Note de lectures
Et zut, je viens de terminer le livre que je lisais.
Je ne voulais pas le finir, je ne voulais pas qu’il se termine.
Je lis décidément trop vite. En voyant qu’il me restait peu de pages, j’avais essayé de ralentir ma lecture.
J’ai freiné tant que j’ai pu, regardé par la fenêtre, guetté le cri du chevreuil, lavé les tasses dans l’évier, grignoté un carré de chocolat, remis du bois dans le poêle, réveillé mon ordinateur, repris le livre.
Et je l’ai terminé.
Les personnages ne voulaient rien dire de plus, je me suis sentie abandonnée.
Tellement envie de leur dire de revenir, de continuer…
J’ai tourné la dernière page, tourné encore mais c’était la quatrième de couverture. J’ai fermé le livre, je l’ai rouvert au début, j’ai failli le recommencer, là tout de suite. La vaisselle était faite, la nuit était tombée depuis longtemps, le chevreuil non plus, ne voulait plus rien dire, j’ai grignoté un deuxième carré de chocolat, je le laissais fondre avec les derniers mots, les premiers mots, je ne sais plus.
J’ai pris un livre du même auteur et je lui dis merci d’avance.
J’ai remis du bois dans le poêle. Une flambée de gratitude.
9 décembre 2021
Horizontal
Il neige un tout petit blizzard
à l’échelle des oiseaux
28 novembre 2021
Ultra violette
C’était un moment particulier
aux confins de la solitude – toujours –
Lorsque tout paraissait étréci
et gris
et bouché
s’ouvrait un crépuscule plus vaste que le ciel
C’était un moment qui ne reviendrait pas
– on le croyait –
Il fallait le prendre avec sa couleur
ultra violette – une couleur qui n’existait pas
Il fallait le prendre avec son silence
ce silence aux pages sourdes
cette impatience
d’un lent demain
qui ne vient pas
Ce n’était pas un vrai silence
il y avait ces musiques qui résonnaient dans l’habitacle d’une voiture
– parce c’était toujours sur une route –
La vie galopait de l’autre côté de la vie
sur un cheval sans nom
Mais savoir où les enfants jouent
lorsque l’automne éteint tous les colorados ?
25 novembre 2021
Si c’était à refaire
On prend presque les mêmes
et on recommence
ou bien on prend les mêmes
et on ne recommence pas ?
8 novembre 2021
Laniakea
Solo balayé des cymbales
Galaxie ouverte
d’une incise de cuivres
Contrebasse et guitare
note à note
suturent la déchirure
et nous voilà traversés d’étoiles
26 octobre 2021
Voyage en pays Ackenbush
Au commencement était le point, disait la voix
C’est là que le voyage a commencé
Pas à pas – nous entendions les pas –
les instruments suivaient
une ligne
un espace
l’espace temps d’un sablier sans couvercle ni fond
Du ventre de la contrebasse naissaient des incantations de sable
De la clarinette, fluide et heurtée ruisselait une immatérielle darbouka
Un oiseau s’est échappé de sa bouche
19 octobre 2021
Je brûle
On m’avait dit de brûler tout ce qui me fait mal
alors je brûle les ronces qui te déchirent le flanc
Je brûle le bateau qui est parti sans toi
Je brûle mes dents
Je brûle le cochon qui se repaît de confiture
Faut-il que je brûle aussi la photo désenfouie ?
Je la brû… non je ne peux pas
Regarde comme c’est laid, la vie
lorsqu’elle t’ampute d’une sœur d’une mère ou d’un ami
toutes ces amours que tu avais encore à vivre
Je brûle ces touffes d’étoiles parties
au firmament du néant
Je brûle ma colère
et elle fera long feu
Qu’est-ce qu’on attend pour aller bien ?
8 août 2021
Chant de blé
Le vent souple échafaude
des silences de feuilles
et d’herbes froissées
Un kantele de brise
entonne un chant de blé
Une échappée de notes rondes
comme un lâcher de bulles
12 juillet 2021
Commentaires récents