Quinzième volet
Voyage…
Le roi borgne (Une histoire à rêver debout)
J’avais écrit cette histoire pour mon fils, quand il avait 11 ans.
Dans cette boite il y avait ce carnet.
Je ne connaissais pas la texture de son papier ni la couleur de son encre.
Surtout, il était rempli de signes étranges.
Ils disent qu’il est très ancien, qu’il daterait même du temps où les continents ne faisaient qu’un !
C’est une découverte étonnante, car il a toujours été dit qu’en ce temps là, les hommes n’existaient pas.
La lecture de ce qui va suivre atteste du contraire.
Car les chercheurs ont fini par décoder cet étrange alphabet.
Et voici ce qui est écrit :
Je cueille dans ma besace tous les rêves du monde.
Je les trie, je les répertorie pour le plaisir.
Je les compte et les raconte aux autres s’ils sont jolis.
Je les exauce, aussi.
Je distribue ainsi des petits bonheurs autour de moi, en échange de sourires.
Car je collectionne aussi les sourires en même temps que les désirs.
Un mendiant rêve d’un repas chaud ?
Hop, je cueille son rêve, je fais apparaître une assiette pleine et fumante, et j’empoche un sourire émerveillé.
Je peux aussi satisfaire le rêve d’os d’un chien, comme le rêve de pluie d’une plante assoiffée.
Je ne compte plus le nombre de petits camions-pompiers distribués à beaucoup de petits garçons.
Il est entrain de jouer avec les hommes comme s’ils étaient des pions sur un échiquier.
Il range les blancs d’un côté, isole les noirs de l’autre.
Les jaunes sont nombreux, il les aligne très loin.
Les rouges sont une poignée, il les parque dans un enclos.
Soudain il m’aperçoit et me jauge de la tête aux pieds, de son oeil unique et cruel.
– Tiens, dit-il, un nouveau pion ? Qui es-tu, toi ?
– Je suis le collectionneur de rêves.
– Majesté! Hurle le roi borgne. Tu dois dire Majesté, quand tu me parles !
– Majesté, dis-je, conciliant. As-tu un rêve que je puisse satisfaire ?
Le roi borgne se radoucit et me regarde intéressé.
– Oh oui, je veux régner sur le monde !
– Je ne peux pas satisfaire ce genre de rêves, car les rêves ne peuvent se contredire.
– Comment ça !? Tonitrue le tyran.
– Si tu rêves de la même maison que ton voisin, je peux t’en donner une.
Mais si tu rêves de la maison de ton voisin, je ne peux la lui enlever.
Si tu rêves d’assujettir les autres, cela va forcément aller à l’encontre de leurs désirs.
– Insolent ! Sache que personne ne peut me contredire ni me contrarier, moi le Roi! Gardes, jetez-le en prison !
Des gardes se précipitent sur moi et m’enferment à double tour dans une geôle, sous le château. Mais il me suffit de rêver que je suis libre pour sortir de là.
Je me retrouve à nouveau devant le Roi borgne.
– Quoi ?!…Que !?…bredouille le tyran.
– Je n’ai jamais rêvé d’être enfermé, dis-je gaiement.
Impressionné, le borgne réfléchit.
– Allons, c’était une blague, soyons amis, dit-il d’un ton doucereux. Quel genre de rêve peux-tu réaliser ?
Par exemple, peux-tu donner aux gens l’envie de m’aimer ?
S’ils rêvent que je sois leur maître, s’ils m’adorent, s’ils me vénèrent, ils seront heureux de tout faire pour moi ! Y a t-il du mal à cela ?
– Je peux le faire, mais quel intérêt ? Si je n’ai plus de rêves différents à collectionner, je vais m’ennuyer.
– Je te donnerai plein d’or !
– L’or ne me fait pas rêver.
– Tu pourras t’acheter tout ce que tu veux !
– Ça ne m’intéresse pas.
Ivre de colère, fou d’orgueil, le borgne vexé me fait à nouveau enfermer.
Cette fois-ci, les gardes creusent un trou dans la terre, me jettent au fond du trou et posent une lourde dalle de marbre par dessus. Evidemment, je rêve d’air et de lumière et me retrouve dehors.
Je m’éloigne alors du château, car cet horrible individu commence à m’agacer !
Je rencontre dans un champ, un homme noir qui travaille.
Il a l’air épuisé. Une lourde chaine entrave ses chevilles.
– Pourquoi es-tu enchainé ?
– Je suis un esclave, me répond-il.
– Mais pourquoi ?
– C’est le roi qui l’a décidé ainsi.
– De quoi rêverais-tu ? Qu’est-ce qui te ferait le plus plaisir ?
– La liberté, bien sûr ! me dit l’homme.
Hop ! La chaine disparaît.
Je cueille le sourire magnifique de l’esclave libéré et continue ma route.
Un groupe d’enfants attire mon attention. Deux filles et trois garçons.
Ils me voient m’approcher et s’éparpillent comme une volée de moineaux.
Je saisis un gamin au passage.
Il a l’âge de rêver d’un petit camion-pompier mais il me dit terrorisé :
– Pitié, ne nous dénoncez pas !
– Voyons, de quoi as-tu peur ? De quoi vais-je te dénoncer ?
– On n’a pas le droit d’être plus de deux et nous étions cinq !
– Et alors ? Dis-je sans comprendre.
– Pour le roi, si on est plus de deux réunis, c’est que l’on complote contre lui. Il peut nous faire fusiller, pour ça ! Je laisse aller l’enfant, les autres sont déjà loin.
Je rebrousse alors chemin et m’en vais retrouver le roi borgne.
Il suffoque de me voir apparaître, lui qui me croyait enseveli sous terre avec une dalle d’une tonne au dessus de la tête.
Je ne lui laisse pas le temps de parler.
– Majesté, j’ai réfléchi. Je ne vois pas pourquoi je ne t’aiderais
pas à réaliser ton rêve.
Le roi fait un grand sourire si laid que je n’ai pas du tout envie de le cueillir, celui-là.
– Pour que cela soit possible, lui dis-je, il faut d’abord que tu réunisses tous tes sujets.
– Tous ?
– Tous.
– Même les noirs ? Toutes les couleurs mélangées ?
– Toutes les couleurs de peau, oui.
– Et les femmes avec les hommes ?
– Les femmes avec les hommes.
– Les riches avec les pauvres ?
– Tous. Tu dois tous les réunir.
– N’est-ce pas dangereux ?
– Que risques-tu ? Je dois les voir tous ensemble pour leur insuffler le désir d’être à ta botte. Il me faudra une nuit entière, pour cela.
Et au matin, tu seras le maître de ton univers.
Le tyran ordonne alors à ses gardes d’aller chercher tous les hommes et les femmes, les enfants et les vieillards, les Jaunes, les Blancs, les Noirs,les Rouges.
Ils le font avec violence et je frémis de les voir frapper ceux qui n’avancent pas assez vite.
Ils bousculent les vieux qui ont du mal à marcher, arrachent inutilement les enfants des bras de leurs mères.
Ils ont l’air de rassembler un immense troupeau de bêtes, sous l’oeil unique et fou du tyran.
La foule émet à peine un murmure tant elle est terrorisée.
Les gens sont tous agglutinés les uns aux autres.
– Majesté, laissez-nous, maintenant, dis-je au borgne.
Allez vous coucher. Je vous promets que demain sera un monde nouveau.
Un mot par ci, une caresse par là. J’apaise, je rassure, et tout le monde m’écoute. Tout le monde se tait. Au matin, des milliers d’êtres humains se réveillent
libérés de leur tyran. Le roi borgne a disparu. Ils avaient tous eu le même rêve, le même désir.
Tous ensemble.
Ils ont tous fait le même souhait.
Moi, j’ai exaucé leur voeu unique: être libre. Le borgne n’est pas mort.
Il erre quelque part dans un désert.
Je ne lui ai pas menti : il est le maitre de son univers.
Un univers sans personne à qui faire du mal.
Un monde nouveau.
Il règne désormais sur les cactus et le sable. Les petits garçons peuvent se permettre de rêver simplement de petits camions-pompiers.
Souhaitez que le Roi borgne ne retrouve jamais le chemin qui mène aux hommes.
Soyez vigilants, ne cessez jamais de rêver.
Depuis, les continents ont dérivé.
L’Histoire nous apprend qu’il existe toujours des rois borgnes dans le monde.
Peut-être existe t-il d’autres collectionneurs de rêves, qui enjambent les continents maintenant séparés, pour rassembler tous les peuples dans un même rêve
de liberté.
Décembre 2003
Coquin bizarre
Le vent-sorcier
On ne voyait pas le sommet de la montagne. Il était caché par un gros nuage gris, immobile anneau de brume.
Ce nuage plongeait le monde dans un brouillard obscur.
Ici, au pays de Gouloupatt, la seule couleur connue était le gris.
Un vieux Gouloupote, le plus âgé de tous, aimait raconter de belles légendes qui faisaient rêver le peuple des lutins.
– Savez-vous qu’avant, il existait un soleil qui voyageait dans
le ciel ? Il illuminait les jours. Il paraît qu’une lune et des étoiles aussi, luisaient dans la pénombre des nuits.
– Encore, vieux Gouloupote, raconte nous les couleurs !
– Oui, reprenait le vieillard, il y avait toutes sortes de jolies couleurs quand le nuage n’était pas là tel un couvercle sur le ciel.
Mais cela n’était qu’une légende et les Gouloupotes, petits lutins gris, s’étaient habitués à vivre des heures grises dans un pays gris, à l’ombre du nuage gris.
Un jour pourtant, un Gouloupote plus curieux que les autres décida d’aller voir ce qu’il y avait au dessus de l’anneau de brume.
Il entreprit de gravir la montagne et marcha longtemps, très longtemps.
Lorsqu’il arriva au nuage, il alla en tâtonnant dans un brouillard
devenu si épais qu’il ne voyait plus le bout de ses chaussures.
Enfin lorsqu’il eût traversé la dernière couche de brume, il émergea dans un paysage éblouissant. C’était un désert de dunes, des vagues de sable lumineux à perte de vue.
– Oh ! Dit le Gouloupote, j’avais toujours rêvé d’un monde comme ça!
– Ouh là là, fit une voix derrière lui, eh bien pas moi, j’ai bien trop chaud !
Le Gouloupote vit un pingouin ruisselant de sueur qui se dandinait d’une patte sur l’autre pour ne pas se brûler au sable bouillant.
– Bonjour, dit le Gouloupote, tu habites ici ?
– Hélas, répondit le pingouin, je ne sais pas ce que je fais là !
Je ne trouve plus ma banquise, c’est la faute du vent-sorcier.
Aïe aïe! Attention, le voilà ! Vite ! As-tu un instrument à vent ?
Une tempête soudaine se leva, gifla le Gouloupote de mille et mille grains de sable et emporta le pingouin dans un tourbillon brûlant et doré.
Puis le vent partit comme il était venu.
Le Gouloupote était tombé par terre sous la violence du choc.
Il se releva, tout de jaune vêtu :
le vent avait teinté ses habits du même ocre que le sable.
Le lutin n’en croyait pas ses yeux. Au loin, il y avait une mare bordée de trois palmiers et il alla se rafraichir. L’eau de l’oasis lui renvoya l’image d’un joli Gouloupote tout jaune, et il ne cessait de s’admirer.
Il voyait maintenant le sommet de la montagne, comme un immense rocher pointu et n’éprouvait pas le besoin de grimper jusqu’au bout.
– Il faut absolument que je raconte ça aux autres !
Il retraversa l’anneau de brume et dévala le plus vite qu’il put le sentier gris qui redescendait vers le monde gris. On le vit arriver de loin, le petit lutin jaune.
Les autres Gouloupotes l’entouraient déjà et touchaient ses habits dorés.
– Le monde est jaune, là-haut ! La légende disait vrai, le jaune existe.
Et il raconta les dunes de sable, l’oasis, la chaleur, et le pingouin.
– Ce n’est pas possible, dit le vieux Gouloupote, ce que tu décris est un désert et les pingouins vivent dans les pays froids.
– Je t’assure que j’ai vu un pingouin ! C’est vrai qu’il se plaignait d’avoir trop chaud… Il était bizarre, il disait qu’il était là par la faute du vent sorcier.
Et quand le vent de sable s’est levé et l’a emporté, il m’a demandé si j’avais un instrument à vent.
– Un instrument à vent ? Il était fou, ce pingouin !
– C’est lui qui est fou, dit un autre Gouloupote en désignant le lutin jaune.
– Tu as fait un voyage trop long et trop pénible, dit le vieux Gouloupote.
– Et le soleil, l’as-tu vu ? Et la lune ?
– Non, je ne les ai pas vus, je ne suis pas allé tout en haut, jusqu’à la pointe du sommet. J’étais tellement pressé de vous raconter…!
– Je vais aller voir, dit un Gouloupote. Nous verrons bien ce qui est vrai ou pas.
Et le deuxième lutin voyageur se mit en route.
Il passa par un autre chemin que le premier, mais il eut à traverser le même brouillard de plus en plus dense.
Lorsqu’il eut fini de franchir la mer de brume, il se retrouva dans un paysage éclatant de blancheur. Une immense étendue de neige et de glace.
Tout étincelait de paillettes de givre.
– Oh, dit le Gouloupote, j’avais toujours rêvé d’un monde comme ça!
– Ouh là là, fit une voix derrière lui, eh bien pas moi ! Qu’est ce que j’ai froid!
Le Gouloupote vit un dromadaire grelottant qui claquait des dents.
– Bonjour, demanda le lutin, tu habites ici ?
– Hélas, dit le dromadaire, je ne sais pas ce que je fais là ! Je ne trouve plus mon Sahara ! C’est la faute du vent-sorcier.
Aïe aïe ! Attention, le voilà ! As-tu un instrument à vent ?
Il avait à peine fini de parler qu’un ouragan soudain se leva, gifla le Gouloupote de mille et mille flocons de neige et emporta le dromadaire dans un tourbillon blanc et glacé.
Puis le blizzard cessa aussi vite qu’il avait commencé. Le Gouloupote qui était tombé par terre sous la violence du choc, se releva, tout de blanc vêtu :
le vent avait teinté ses habits du même éclat que la neige.
Le Gouloupote était fou de joie de se trouver aussi beau.
Il voyait le sommet de la montagne comme un immense rocher pointu mais il se disait :
– Il n’y aura rien de plus. Je vais vite redescendre. Gouloupote jaune a dit n’importe quoi ! Il faut que je raconte aux autres la vérité.
Et il retraversa l’anneau de brume, redescendit à Gouloupatt, là où l’ombre du nuage cachait la lumière.
On le vit arriver de loin, le petit lutin blanc.
– Le monde est blanc, là-haut ! La légende disait vrai, le blanc existe. Pas de sable doré comme le disait Gouloupote jaune, mais des collines de neige et des montagnes de glace !
– Tu as dû mal voir, protesta Gouloupote jaune. Et le pingouin, tu l’as vu ?
– Pas du tout, j’ai vu un dromadaire. Il m’a parlé de vent-sorcier et m’a demandé un instrument à vent. Puis il a disparu dans la tourmente.
– Les dromadaires ne peuvent pas vivre dans un pays froid, dit le vieux Gouloupote. Ce voyage t’as rendu fou aussi ! Blanc, mais fou…!
– Et le soleil ? Et la lune ? Et le sommet ? Demandèrent les autres lutins.
– J’ai vu le sommet, il est tout pointu. Mais je ne suis pas allé tout en haut.
– Je vais aller voir, dit un Gouloupote.
Et le troisième lutin voyageur, par un autre chemin, traversa lui aussi le gros nuage.
Il se retrouva dans une superbe forêt. Les arbres étaient sur le point de perdre leurs feuillages.
Ils étaient rouges, jaunes, oranges ou bruns. On aurait dit un paysage incendié, les feuilles ressemblaient à des flammes.
– Oh, dit le Gouloupote, j’avais toujours rêvé d’un monde comme ça !
– Ouh là là, fit une voix au-dessus de lui, eh bien pas moi ! Pas moyen de nager, ici !
Le Gouloupote vit alors un poisson en équilibre sur une branche.
– Bonjour, tu habites ici?
– Hélas ! Je ne sais pas ce que je fais là, je ne retrouve pas la mer ! C’est la faute du vent-sorcier. Aïe aïe ! Attention, le voilà ! As-tu un instrument à vent ?
Il eut à peine fini de parler qu’une bourrasque se leva, gifla le Gouloupote de mille et mille feuilles mortes et emporta le poisson dans un tourbillon écarlate et bruissant.
Puis le vent se calma instantanément. Le Gouloupote, qui était tombé par terre sous la violence du choc, se releva tout de rouge vêtu :
le vent avait teinté ses habits des mêmes couleurs d’automne que les arbres.
Il voyait le sommet de la montagne dominant la forêt comme un rocher pointu mais pas plus que les deux premiers, il n’eut envie d’aller plus loin.
Il avait hâte de tout raconter aux autres.
Il retraversa l’anneau de brume. Dans la grisaille, on le vit arriver de loin, le petit lutin rouge.
– Ils ont dit n’importe quoi! Là-haut, le monde a la couleur du feu !
Sa description de la forêt intéressa beaucoup le peuple de Gouloupatt et le plus vieux hocha la tête :
– Ce que tu racontes ressemble fort à une certaine saison dont parle la légende. Et as-tu vu le soleil ? Et la lune ?
– Non, j’ai vu un poisson dans un arbre.
Alors le vieux Gouloupote poussa un soupir désolé :
– Les poissons vivent dans l’eau.
– Oh justement, il cherchait la mer ! Lui aussi a parlé de vent-sorcier et d’instrument à vent.
– Te voilà rouge et fou, dit le vieux Gouloupote.
Un autre lutin qui avait tout écouté sans rien dire, intervint :
– Pourtant, ce rouge doit bien être une preuve de ce qu’il raconte. Gouloupote jaune a ramené l’ocre du sable et Gouloupote blanc a ramené l’éclat de la neige. Je vais y aller à mon tour.
Et le quatrième lutin voyageur se mit en route lui aussi vers le sommet caché.
Comme les autres, il mit très longtemps à traverser l’épaisseur du brouillard.
Et lorsqu’il arriva enfin au-dessus du nuage, il eut la surprise de découvrir la mer.
De petites vagues bleues ourlées d’écume se gonflaient lentement devant lui et venaient lécher ses pieds dans un fourmillement paisible de petites bulles.
– Oh, dit le Gouloupote, j’avais toujours rêvé d’un monde comme ça !
– Ouh là là, fit une voix derrière lui, eh bien pas moi ! Il n’y a rien à manger ici !
Un éléphant se tenait sur trois pattes sur le rivage. La plage de sable blanc était si étroite qu’il n’avait pas la place d’y poser la quatrième patte.
Il but une gorgée d’eau de mer et la recracha aussitôt par la trompe.
– Pouah ! C’est infect, cette eau salée !
– Bonjour, dit le Gouloupote, tu habites ici ?
– Hélas ! Je ne sais pas ce que je fais là, je ne retrouve pas ma savane.
– C’est la faute du vent-sorcier ? Demanda le lutin.
– Ah! Comment le sais-tu ? Aïe aïe! Attention, le voilà ! As-tu un instrument à vent ?
Un cyclone soudain se leva, gifla le Gouloupote de mille et mille éclaboussures et emporta l’éléphant dans un tourbillon bleu d’écume.
Puis le vent retomba aussitôt. La mer s’apaisa, vaguelettes à peine chuintantes.
Etourdi, le Gouloupote qui était tombé par terre sous la violence du raz-de- marée, se releva mouillé et tout de bleu vêtu : le vent avait teinté ses habits de la couleur de l’océan. Emerveillé, le Gouloupote bleu se trouva superbe.
Le sommet de la montagne se dressait devant lui, île de roche pointue.
– Qu’y aura t-il de plus là-haut ? Il faut vite que j’aille à Gouloupatt raconter ce que j’ai vu !
Et il retraversa l’anneau de brume. Dans la grisaille retrouvée, il se fit remarquer de loin, le petit lutin bleu.
– C’est la mer, là-haut ! C’est la mer !
Et la couleur de ses habits montrait aux Gouloupotes comme la mer était bleue.
– As-tu vu quelqu’un ? Demanda le vieux Gouloupote.
– Oui, un éléphant sur la plage.
– Les éléphants ne vivent pas au bord de la mer, déclara le vieux
lutin.
– C’est vrai, il n’avait pas l’air très à l’aise, il cherchait une savane, répondit Gouloupote bleu.
– C’est sûrement le vent-sorcier qui l’a emmené là…dit Gouloupote jaune.
– Et il a disparu dans une énorme tempête…ajouta Gouloupote blanc.
– Après t’avoir demandé si tu avais un instrument à vent, complèta Gouloupote rouge.
Cette fois, le vieux Gouloupote ne les traita pas de fous.
Et lorsque Gouloupote jaune, blanc, rouge et bleu décidèrent de
retourner tous ensemble au dessus du nuage, il leur dit simplement :
– Je vous aurais bien accompagné, si je n’avais pas été si âgé.
– Nous irons tout en haut du sommet. Peut-être que nous verrons le soleil et la lune.
– Prenez des instruments à vent, dit le vieux.
Ils emportèrent donc une trompette, une flûte, un saxophone et une corne de brume.
Après avoir longtemps marché, ils émergèrent du nuage.
Et là, il faisait nuit.
Pas le genre de nuit qu’ils avaient l’habitude de voir, opaque et noire.
Non, c’était une nuit illuminée d’étoiles, une nuit mauve et argentée.
Ils voyaient se dresser les contours du sommet.
Une lueur dorée faisait une auréole derrière le rocher pointu.
Attirés par ce halo, ils grimpèrent encore et encore, jusqu’au bout.
Quand ils arrivèrent enfin tout en haut, ils virent un gros soleil noir
coiffé d’un croissant de lune rouge, tous deux à demi-noyés dans la
mer de nuage.
– Ah ! Fit le soleil, enfin quelqu’un !
– Délivrez-nous, dit la lune.
– Que vous arrive t-il ? Demandèrent les Gouloupotes.
– Vous le voyez bien, nous sommes prisonniers du nuage empêtrés l’un à l’autre, on ne peut plus bouger. C’est la faute du vent-sorcier.
– Mais pourquoi ?
– C’est une longue histoire, soupira le soleil noir.
– Il y a bien longtemps, nous avons voulu nous rencontrer, le soleil et moi, dit la lune. Nous sommes amoureux, vous comprenez… Mais ce n’était pas facile de se rapprocher. Le vent-sorcier nous entrainait chacun loin l’un de l’autre. Un jour, nous avons réussi à tromper sa vigilance et nous nous sommes retrouvés.
Le soleil poursuivit :
– Lorsque le vent-sorcier s’en aperçut, il entra dans une colère folle car il est très jaloux et ne peut supporter que l’on puisse échapper à son emprise.
Dans un cri d’orage, il nous jeta dessus un filet de nuage qui nous emprisonne depuis…
– Puisque vous voulez être ensemble, gronda t-il, vous serez toujours soudés l’un à l’autre. Vous ne danserez plus en liberté dans le ciel. Vous avez voulu faire une éclipse, eh bien vous serez à jamais éclipsés !
– Qu’est-ce que c’est, une éclipse ? Demanda un Gouloupote.
– C’est le baiser du soleil et de la lune, dit le soleil.
La lune rougit plus fort encore et ajouta :
– Le vent-sorcier dans sa fureur, mit donc ce nuage à nos pieds comme un boulet de prisonniers et comme un couvercle sur le ciel, afin que nos lumières n’éclairent plus jamais rien ni personne.
– Et comme il est capricieux, il a désordonné le monde, dit le soleil.
– Il a mis des poissons dans les arbres ? Fit le Gouloupote rouge.
– Voilà, c’est ça. Et des pingouins au sahara, au pôle nord des dromadaires, des éléphants au bord des océans…
– Et il t’a fait soleil noir ? Demanda Gouloupote jaune.
– C’est l’ombre de la lune qui me voile de noir, répondit le soleil.
– Et il t’a fait lune rouge? Dit Gouloupote bleu.
– C’est la lumière du soleil qui me voile de rouge, répondit la lune.
– Que pouvons nous faire ? Demanda Gouloupote blanc.
Une tornade soudaine éclata dans le ciel. Un orage terrible qui fit trembler le nuage.
Des éclairs zébrèrent la nuit dans un fracas assourdissant.
Les quatre Gouloupotes étaient terrorisés.
– Vite, supplia la lune, avez-vous un instrument à vent ?
Gouloupote jaune fut le premier à réagir. Il sortit sa trompette et se mit à jouer.
Alors les coups de tonnerre se métamorphosèrent en claironnement de trompette et s’atténuèrent. Gouloupote blanc prit son saxophone et le vent-sorcier entra dans l’instrument. Il en ressortit transformé :
le souffle de vent devint notes de musique, le rythme de sa respiration prit le rythme lent du saxophone.
Gouloupote rouge porta la flûte à ses lèvres. Le vent-sorcier désormais apprivoisé devint aussi ténu que les notes aigües de la flûte.
Il n’était plus qu’une brise légère et agréable.
Gouloupote bleu prit alors sa corne de brume et souffla :
le gros nuage se déchira, se détricota, s’effilocha. La corne aspira toute la brume…
La lune et le soleil libérés purent se détacher l’un de l’autre.
La lune s’ancra dans la nuit, toute blonde.
Le soleil, lui, était devenu or. Il roula de l’autre côté du sommet et pour la première fois, se leva sur Gouloupatt.
Aucun nuage, aucun brouillard ne l’empêchait plus de briller.
Tous les Gouloupotes connurent alors les couleurs du monde.
Et comme le monde est vaste, chacun s’installa dans le paysage ou la saison qu’il préférait.
Il resta bien un peu de brume, mais c’était juste une fine écharpe élégante, un souvenir, une légende. Car on dit qu’auparavant, on ne voyait pas le sommet de la montagne.
Février 2001
Les journées d’avril
Extraits des rencontres littéraires à Clans Vallée de La Tinée
le 16 avril 2016
Avec Patrick Quillier, Pascal Giovannetti, Marc Meyer, Sabine Venaruzzo, Jean-Paul Ducarteron et Sandra Ponzetti.
Les journées d’avril Clans 2016 from C. Daviles-Estinès on Vimeo.
19 avril 2016
Malagasy road
A Rivo, misaotra
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Musique de Dama « Nahoana Kay »
5 mars 2016
La Cité des Arts
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Cité des Arts- Saint-Denis de La Réunion. Avec Parkours, déambulation dansée par la Cie Morphose et Ravaz… sizèr lo swar, danse dans les arbres par la Cie Artmayage.
Musiques : Shubert « La jeune fille et la mort » et musique du film Sound of noise « Doctor, Doctor »
26 février 2016
La palme
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Musique de Pierre Henry – Messe Pour Le Temps Présent
21 Février 2016
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16 Février 2016
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Musiques de Scott Joplin « Elite syncopations » et Luca Stricagnoli « The Last of the Mohicans »
7 Février 2016
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Musiques Henri Texier « Elephant » et Tiger Lillies « St Dagmar Square »
22 Janvier 2016























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