Nathalie taille ses oliviers, maintenant. Enfin je suppose. C’est ce qui lui tenait à cœur, la dernière fois que je l’ai vue.
– J’ai des oliviers à tailler, m’avait-elle dit, il est urgent que j’arrête.
Et elle a arrêté. Plus personne ne la voit.
Il faut dire qu’elle n’avait pas de vie, Nathalie.
– Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ? Avait-elle demandé un jour à mon fils.
Son sourire était brusquement devenu une grimace.
– Ne sois pas toubib, c’est un métier de merde !
Nathalie malpolie.
Son métier de merde, elle l’exerçait pourtant avec une rigueur acharnée.
Seule médecin à 20 km à la ronde. Répondait au téléphone le samedi et le dimanche. Le vendredi, elle s’échappait. Sans doute dans cette maison au jardin d’oliviers dans laquelle elle prévoyait de passer sa retraite.
Elle semblait être perpétuellement au bord de l’exaspération. En décourageait plus d’un à force de mauvaise humeur. Mais sa salle d’attente était toujours bondée de patients résolument patients.
Il fallait occuper les petits, prévoir pour eux des biberons ou des biscuits, des jouets.
Les enfants finissaient par faire racler les pieds de leurs chaises sur le carrelage et tournaient en rond en bourdonnant comme des insectes.
Immanquablement, Nathalie se mettait à crier derrière la porte. C’est pas un peu fini, ce bordel !?
Nathalie grande gueule.
Les gamins l’aimaient bien, pourtant. Elle avait toujours un bonbon à leur offrir.
Nathalie tendresse.
Elle ne recevait que le matin. Le matin, avec elle, pouvait aller jusqu’à 15 h. Chaque consultation durait une heure. Elle était réputée pour la justesse de ses diagnostics et pour l’efficacité de ses soins.
Même si parfois, elle s’avouait vaincue avec humour.
– Comment ça, tu n’arrives toujours pas à dormir ? Et les coups de marteaux sur la tête, tu as essayé ?
L’après-midi elle partait sur les petites routes de montagne faire la tournée des domiciles.
Après s’être nourrie de cacahuètes qu’elle enfournait par poignées.
Egalement diplômée en pharmacie, elle apportait ce qu’il fallait de médicaments dans les soufflets de sa sacoche.
Un vendredi – c’était un vendredi bien sûr, son seul jour de congé – je l’avais rencontrée en pleine ville.
Elle était assise par terre sur le trottoir, contre la vitrine d’un magasin et parlait fort dans son portable pour se faire entendre. J’avais reconnu sa voix.
Cela nous avait paru incongru de nous croiser là, dans cette grande avenue. Dans ce contexte urbain, nous faisions figure de martiennes, habituées que nous étions à nous voir dans nos montagnes.
– Qu’est-ce que tu fais là, toi ?!
– Ben et toi, assise par terre !?
Nous avions échangé un rire. Elle s’était relevée, avait lissé de sa paume sa jupe grise. Ou beige ou marron, je ne me souviens plus. Elle ne portait que des jupes de tailleur grises ou beiges ou marrons.
Tristounette et pas franchement mode, Nathalie.
Elle se tenait toujours un peu voutée, devait mesurer 1 m 60 dépliée. Une allure chétive mais l’allure, seulement.
Un jour, je m’étais trouvée dans l’incapacité de descendre son escalier pour sortir de chez elle, tant je ne tenais pas sur mes jambes. Elle m’avait soulevée et m’avait portée en travers de son épaule.
J’avais crié de vertige et de peur. De surprise aussi. Elle avait une poigne de fer. Et une technique de capitaine des pompiers qu’elle était, forcément.
Lorsqu’elle venait à la maison, elle aimait bien, je crois, venir en fin de tournée. Ne plus rien avoir à faire après nous.
– Tu as mangé ?
A cette question, elle réfléchissait et répondait par une autre :
– Quel jour on est ?
Nathalie distraite.
Quelques fois elle voulait bien qu’on lui sorte une assiette.
Elle se posait là et aimait bien rire. Elle avait un rire hystérique et fatigué.
Elle se posait là, il pouvait être 2 h de l’après-midi, ou 4.
Il pouvait être 9 h du soir, il pouvait être dimanche. Il est même arrivé que ce soit un vendredi.
27 juin 2015
Métier de merde, c’est sûr ! Surtout si on le pratique avec cette abnégation ! 🙂