Quinzième volet
Voyage…
L’océan vent
Mer agitée à forte par houle de Sud-Est. Vent de secteur Nord-Ouest 3 à 5, fraîchissant rapidement 4 à 6. Rafales. Variable dépressionnaire 3 à 4, s’orientant Sud-Est, localement Nord-Est 4 à 5 sur l’extrême nord.
Les vrais marins vont dire que je raconte absolument n’importe quoi et ils n’auront pas tort….
Mais qui dit que je n’habite pas au bord de la mer ?
Feu de guêpes
Le parfum des roses musquées
et le relent du détergent des salles d’attentes
On se laisse assaillir d’effluves
qui vous traversent et qui me brûlent
comme autant d’échardes fulgurantes
Je dis on
on dit vous
vous dites je
pour mettre une distance
entre nous et les souvenirs
ce long feu de guêpes
16 avril 2021
Un héritage

L’avais-tu oubliée
cette photo déchirée
soigneusement enfouie
dans une enveloppe enfouie
dans un sac enfoui
dans une malle ?
Toujours emportée
jamais montrée
La regardais-tu quelquefois
comme je la regarde aujourd’hui ?
Je la regarde et j’amalgame
J’amalgame et je recouds
mes cicatrices à tes blessures
De mère en fille
un héritage
Tu as eu beau la déchirer
elle n’a jamais perdu
tout le tranchant de la lumière
2 avril 2021
Un jeu de collage
Ce serait étonnant qu’il n’y ait ni vies éparpillées
ni même des miroirs en bois blond
sous le sable
J’ai passé ma saison à aimer des pays fous
dans ma bulle
mais chaque goutte d’aquarelle
que le temps efface de nos mémoires
signifierait qu’en fait il ne s’est rien passé

13 mars 2021
L’instant
L’instant est un paysage
strié de lavandes
Talus saignés d’échappées d’ocre
sous les racines
L’instant est Guinnevere
mon étrange étrangère, familière
De combien de printemps m’a-t-elle traversée ?
ici rose abricot, et là-bas blanc cerise
6 mars 2021
Ce trou dans l’eau
Vient de paraître aux éditions Tipaza ce livre d’artiste avec les peintures de l’artiste peintre Claudie Poinsard
Merci à mon amie Sabine Venaruzzo pour sa lecture !
Mistral
On peut toujours croirêver
que l’on vit au bord de l’océan
avec ces rouleaux de vent fracassés
sur les murs
Même le feu dans l’âtre
chuchante des rivages
où vient mourir la mer
1er février 2021
Page blanche
Je regarde le figuier
il ne frelonne plus
Ses brindilles nues tressaillent
sous le poids-plume des mésanges
Le ciel s’effrite à la fenêtre
Floconfettis
Peut-on se noyer dans son propre silence ?
Je voudrais qu’un rien me traverse
12 janvier 2021
Piano-forte
Je n’ai jamais vu son visage. Je la voyais de trois-quart dos. Elle était à sa fenêtre, menue, penchée sur un piano, ses cheveux blancs roulés en chignon sur la nuque, son cardigan de laine pâle. Je ne me souviens pas de la couleur, rose ou blanc ou bleu peut-être. Couleur layette.
La première fois que je l’ai vue, je revenais du lycée, mon cartable en bandoulière sur l’épaule, il devait être entre dix-sept et dix-huit heures. La musique qu’elle jouait m’était tombée dessus comme une avalanche. Un éboulis de notes. Je m’étais arrêtée pour l’écouter. J’étais surprise, émerveillée. Que pouvait-elle jouer, je n’en sais rien, ignare que j’étais, et suis encore, en matière de musique classique. Bach, Haendel, Chopin, Mozart ? Mon univers à moi, c’était Leonard Cohen et Neil Young. J’étais restée un long moment sur le trottoir, pour le plaisir de l’entendre. Il avait fallu que je m’ébroue, que je rentre chez moi, retrouver mes devoirs à faire, à contre-cœur.
Le lendemain à la même heure, elle était encore là à jouer, et les jours suivants, tous les jours de lycée, lorsque je rentrais chez moi. C’était un rendez-vous qui m’était devenu indispensable. Elle me lavait de Bergson, du théorème de Pythagore, et de la Deuxième Guerre mondiale.
Même l’hiver, lorsque sa fenêtre était fermée, je pouvais l’entendre. Je restais debout sur le trottoir de l’autre côté du portail vert à la peinture défraichie, son jardinet était en friche il me semble, je ne me souviens pas très bien. Il n’était pas fleuri, je crois. Ce que je voyais de l’intérieur de sa maison, c’était un décor vieillot, avec des dorures aux cadres de ses tableaux, une tapisserie à grosses fleurs lourdes sur les murs. Tout ce que je détestais. Mais je la regardais, la vieille dame qui fléchissait le buste sur son piano. Et surtout, je l’écoutais. Même sous la pluie. Ce n’est pas la pluie qui me faisait frissonner.
Et puis il y a eu les vacances. J’avais obtenu mon bac, je n’allais plus au lycée et j’avais déménagé. Pourtant un soir, plusieurs années après, j’ai refait le même trajet, aux environs de dix-sept heures. Exprès. Je pressais le pas pour être au rendez-vous. Mais une palissade se dressait entre le jardinet et le trottoir.
Un gros chantier de démolition. Un immeuble allait remplacer sa maison, qu’un bulldozer avait éventrée. Une pelle mécanique dévorait ce qui restait de façade. Je me suis dit qu’elle était morte. Ça faisait des gravats partout. Jusque dans le cœur.
21 décembre 2020
Le collage lexical
J’aurais voulu faire un collage
de tous les fragments déchirés
Reclouer la lumière
avec un soleil noir
Traduire l’exact impact de la fêlure
Un chemin peut-être
entre trois continents
Un courant d’encre traversière
par-dessus la géographie filigrane
d’une partition
Une feuille aussi
cueillie avant que le vent
n’ait ébroué son arbre
Ce n’est poursuivre qu’un chemin lexical
J’aurais fini par le pétale bleu
d’une vraie écaille de poisson
pour quitter les sentiers battus et rebattus
de ma poésie
1er décembre 2020
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