
Quinzième volet
Voyage…
Bleu
Jour bleu torride
compact
Façade de ciel lisse
Aucune prise pour les mots
et j’écris que
je n’écris pas
Soudain l’invisible déchirure
d’un avion à réaction
Plaie ouverte et puissante
dans la chair du silence
Mais aucune trace
Jour bleu torride
compact
11 juin 2017
Le bracelet
Ce n’est pas grave de perdre un bracelet. Il nous reste le papier.
Ce n’est pas grave, même s’il est en argent. Même si c’est un souvenir d’Afrique. Même s’il a une valeur affective.
– Ce n’est que du matériel, maman, dit Kin.
Il dit ça mais je vois bien qu’il en a gros sur le cœur. Il dit ça pour me rassurer, moi qui viens de perdre beaucoup plus.
– Mais tu l’as déjà perdu et tu l’as retrouvé, cherche bien.
Deux mois auparavant, mon fils m’avait téléphoné, angoissé.
– Maman j’ai perdu mon bracelet, regarde s’il n’est pas sur ma table.
Vous savez comment c’est une chambre d’ado ? C’est le foutoir.
Une empilade de bouquins, de DVD, des multi-prises partout pour brancher le pc, la play-station, les enceintes, la table de mixage. Des paquets de clopes vides, le cendrier posé sur les papiers importants, des marqueurs à taguer. J’avais regardé et n’avais rien trouvé. Lui si, en rentrant. Le bijou était sous le dernier relevé bancaire, entre le cendrier et la boîte de cookies entamée.
– Nan c’est mort, je sais que je ne l’ai plus. Ce coup-ci il est perdu pour de bon. Mais c’est pas grave, je te dis.
En temps normal, il aurait râlé tant et plus, shooté dans la paire de baskets de son coloc qui encombre l’entrée de la chambre (les baskets, pas le coloc), proféré des jurons au kilomètres j’suis dégoûté, putain merde, fait chier !
Mais nous ne sommes pas en temps normal. Mon deuil nous fait inverser les rôles, c’est lui qui me console de son chagrin.
Ce bracelet, il l’a depuis l’âge de deux ans. Mais oui, un bracelet de bébé. Qu’il arrivait à porter à son poignet d’adulescent parce que c’est un bracelet ouvert. Ecarté un max. Si écarté qu’il aura fini par tomber dans la rue, dans le bus, dans la ville.
Un arc fin avec les trois lettres de son nom ciselées dessus : KIN
Outre le fait qu’il ait été fabriqué exclusivement pour lui, il lui avait été offert par Solange, c’était un cadeau de départ.
A vrai dire, il ne se souvient pas de Solange, il était bien trop petit lorsque nous avons quitté Niamey. Mais nous avons pris soin d’entretenir pour lui (et pour nous !) le souvenir que nous gardons de cette nounou/femme de ménage hors compétition.
Elle avait 25 ans. Elle était togolaise et vivait au Niger avec son mari depuis cinq ans. Il a vu quelques photos d’elle : belle avec ses petites tresses et son collier si blanc sur sa peau si noire. Et lui si beau, enfoui dans le pagne qu’elle portait pour le caler contre son dos.
Solange, c’était d’abord un rire. Une joie de vivre à cent à l’heure. Toujours enthousiaste, toujours emplie de compassion aussi pour les malheurs d’autrui. Qu’est-ce que c’est que c’est beau et C’est pitié étaient ses deux expressions favorites. Elle était devenue ma confidente et vice versa. Bonne à tout faire – même et surtout le beau temps de la maison. Sauf le jour de notre départ, elle a fait la pluie.
Une après-midi par semaine, Solange recevait sur notre terrasse des nounous qui venaient avec les petits dont elles (ils) avaient la garde. Ou bien elle emmenait Kin chez l’une (l’un) de ses collègues. Une manière de passer un agréable moment en bonne compagnie pendant que les gosses apprenaient à se socialiser. Une crèche à domicile en somme, sans domicile fixe.
Nous échangions les recettes de cuisine. Je lui apprenais à faire le porc au caramel et le gâteau au chocolat, elle me montrait comment faire le poulet aux arachides et le foutou banane.
Au début je faisais les courses. J’allais au marché et ramenais les légumes dont elle avait besoin pour le menu qu’elle se proposait de préparer.
Il y en avait un à 5 minutes de la maison. Où je pouvais aller à pied. Ce marché avait la particularité d’afficher des ardoises avec les prix. C’est la première fois que je voyais ça en Afrique.
Pas de marchandage, donc. Autant il me semble avoir su marchander tout et n’importe quoi pendant mon enfance africaine, autant cela me parut extrêmement reposant d’acheter sans discuter lors de ce retour en Afrique 15 ans plus tard.
Jusqu’au jour où les marchands abordèrent le père de mon fils arrêté au stop du carrefour pour lui dire :
– Ça va patron ?
– Ça va.
– Comment va madame Gentille ? On ne l’a pas vue aujourd’hui.
– Vous l’appelez madame Gentille ? Répondit mon compagnon, plutôt fier de moi.
– Oui c’est madame Gentille. Elle ne discute jamais les prix…
Lorsque Solange l’apprit, elle me fit changer de marché.
– Va au Petit marché, c’est beaucoup moins cher de toutes façons.
Et elle se mit à surveiller de près mes dépenses.
– Tu as payé combien les tomates ?
– 200 francs.*
Ma bonne à tout faire engueulait la bonne à rien que j’étais.
– Tu as payé trop cher, il faut discuter plus que ça !
Nous finîmes par y aller ensemble, c’est elle qui marchandait. Les vendeurs me voyant à ses côtés, l’interpellaient : ma sœur, fais-moi faire des affaires. Mais elle était intraitable, comme si mon porte-monnaie était le sien.
Nous allions aussi au Grand marché de Niamey. Farfouiller dans les pagnes, les fripes, les bijoux.
Nous nous faisions des après-midi de filles.
Avec Kin dans mes bras ou bien emmailloté dans un pagne sur son dos.
Solange portait souvent des pantalons. Pantalons que j’achetais pour moi sur des étals de rue. Comme il n’y avait évidemment pas de cabine d’essayage, je prenais « le risque » d’acheter sans savoir si cela allait m’aller, mais ils étaient tellement peu chers que je ne perdais pas grand chose. En général ils ne m’allaient pas. Ils allaient toujours à Solange. Je lui demandais donc son avis avant.
– Il te plaît, celui-là ?
– Qu’est-ce que c’est que c’est beau !, me répondait-elle extasiée.
Je pouvais alors emporter, ce qui ne faisait pas le bonheur de l’une faisant le bonheur de l’autre.
Rares à Niamey étaient les jeunes africaines habillées à l’européenne, à part les filles de boîte au look plus provocateur que le sien.
En la voyant en jean, les commerçants la prenaient pour une Américaine et lui parlaient anglais.
* 200 francs CFA = 4 FF
Solange avait un mignon bout d’chou de trois ans, Thierry. Elle ne l’emmenait pas souvent, il avait lui aussi une nounou, de l’âge de 12 ans.
Elle vint avec lui plus souvent lorsqu’elle fut en sainte* d’un deuxième petit garçon qui se prénommera Laurent. Car arriva le moment où il fallut bien qu’elle prenne des congés maternité.
Solange continua à venir me voir, Thierry sur son dos et Laurent dans son ventre. Nous profitâmes de ses vacances pour écumer tous les quartiers intéressants de Niamey. Elle me fit découvrir le centre artisanal de Wadata où étaient fabriqués les objets les plus représentatifs de l’artisanat nigérien. De pures merveilles de maroquinerie et de bijouterie.
Mon marché préféré était le marché de Katako Boukoki. Tout ce qui habituellement ailleurs se jette était récupéré et recyclé. Les gros tonneaux d’huile étaient transformés en cantines très joliment peintes. Les chambres à air devenaient des seaux pour puiser l’eau au fond des puits, les chaussures étaient en pneu, les lampes à pétrole en boîtes de conserve. Tous les ustensiles de cuisine (casseroles, poêles, marmites, louches, écumoires) étaient créés à partir de moteurs de camion. De grands clous à la pointe aplatie faisaient efficacement office de tournevis, l’autre bout étant replié pour une prise en main confortable. Les marteaux étaient faits avec d’énormes boulons de camion.
Je ne me lassais pas de ce dépotoir. Car c’était également une immense décharge de ferrailles en tout genre, évidemment.
Il y avait aussi un étal de sorcier où s’amoncelaient diverses plantes, racines, cauris, poils d’éléphants, crapauds séchés, cornes d’antilopes, bocaux remplis de capsules de bouteilles. Je me souviens d’un bec de toucan que le vendeur râpait, ceci afin de prélever une poudre au pouvoir aphrodisiaque ? Ou maléfique ?
Solange n’aimait pas que je me rende à Boukoki non accompagnée. Elle disait que c’était dangereux pour une femme seule. Blanche qui plus est.
– Même avec un enfant ?
Je ne sais pas pourquoi, je me sentais invulnérable, avec Kin sur ma hanche.
Peut-être parce que je me sentais prête à le défendre comme une lionne.
Peut-être parce qu’il attirait souvent la sympathie des personnes que je croisais. Rien de mal ne pouvait m’arriver s’il était avec moi. Sourires de mères, moqueries affectueuses de pères, saluts enjoués de gamins…
Anassara chinois**…
– Il faut rentrer avant la nuit, insistait Solange.
Ce n’était pas la première fois qu’elle s’inquiétait pour ma sécurité.
Au tout début de son arrivée, c’est-à-dire peu de temps après la mienne, nous n’avions pas encore embauché de gardien. Chaque maison alentour avait son vigile, logé dans une case à l’intérieur de la propriété.
Mon compagnon devait partir au Burkina Faso pour des raisons professionnelles.
J’allais devoir rester seule avec Kin pendant une semaine. Je n’avais aucune crainte de cela mais elle finit par me ficher la trouille.
– Il faut bien t’enfermer à clef la nuit, madame (Elle m’appelait madame, c’était le premier jour). Attends, je reviens.
Elle est partie, c’était l’heure pour elle de partir. Mais elle est revenue avec un sifflet, m’a donné l’ordre de le garder sous l’oreiller. Et d’en user si j’entendais le moindre bruit suspect, afin d’alerter tous les gardiens du voisinage.
Je n’ai pas pu fermer l’œil de toutes les nuits de cette semaine-là.
Terrorisée au moindre craquement de feuille morte sous un pas de chat.
* En Afrique, lorsqu’une femme est enceinte, on dit qu’elle a gagné la sainte
** Anassara chinois : Anassara veut dire Le blanc
Je me souviens du rire de Solange. De ses éclats lorsque je lui avais raconté mes déboires du week-end.
Un ami nigérien raffolait du bœuf bourguignon.
– Colette, m’avait-il dit, je le prépare très bien. Je m’occupe d’acheter la viande et de le préparer et on vient le manger chez vous. Toi tu t’occupes d’acheter le vin pour l’accompagner.
Le rire de Solange lorsque je lui ai raconté que j’étais donc partie au supermarché de la ville… J’avais fait dix fois l’aller-retour le long du rayon bouteilles et avais piteusement ramené une bouteille de vin rosé…
– Je n’ai pas trouvé de vin rouge, en vin de table ils ne font que du rosé. C’est quand même curieux pour un pays musulman, tous les vins rouges, c’est du vin de messe.
Vino de mesa…
– Et comment je pouvais savoir que ça voulait dire vin de table ? Olé et Paëlla, c’est tout ce que je connais en espagnol !
Solange riait tellement qu’elle avait été obligée de s’asseoir par terre.
Puis il a bien fallu quitter le Niger. Solange qui riait toujours pleurait une semaine avant le départ.
– Je ne veux plus être nounou. Je ne veux plus m’attacher aux enfants.
Même les enfants des autres nounous l’adoraient.
Un jour elle est allée présenter son Laurent nouveau-né au nounou des voisins (oui, c’était un nounou). Les deux blondinets qu’il était occupé à faire manger ont accueilli Solange avec des cris de joie. Ils la connaissaient bien puisqu’ils la voyaient à chaque rassemblement de nounous. Le plus jeune a voulu que ce soit elle qui lui tende la cuillère. Une pour Papa, une pour Maman, mais par Solange sinon rien.
Elle avait les larmes aux yeux en me racontant cela. C’est pitié disait-elle.
Elle a offert à Kin ce fameux beau bracelet. Encore un petit peu trop grand pour lui. Trois lettres gravées. Elle l’avait fait faire à Wadata.
Elle aimait mon parfum, je lui ai offert le flacon neuf que j’avais d’avance.
– Comme ça tu penseras à moi quand tu te parfumeras.
– Qu’est-ce que c’est que ça sent bon !
Thierry héritera des jouets de Kin.
Avant mon départ je suis allée au Petit marché acheter une pierre de khôl et je l’ai faite piler.
Le marchand a mis la poudre dans une boîte d’aspirine enveloppée dans un papier.
Je l’ai déballée une fois rentrée à la maison.
J’ai distraitement posé le papier sur la table et au moment de le reprendre pour aller le jeter, stupeur.
Deux mots à l’encre rouge.
– Solange regarde !
Elle a ri d’émotion.
– Qu’est-ce que c’est que c’est beau ! C’est le papier sur lequel j’ai écrit pour commander les bracelets. Parce que j’en ai fait faire un pour Thierry aussi.
– Mais je croyais… Tu avais fait faire les bracelets au Petit marché ?
– Non, à Wadata. Le papier a voyagé…
Le Petit marché est dans le centre de Niamey. Wadata est à l’autre bout de la ville.
Rien n’est jeté. Ce bout de papier de la taille d’une moitié de feuille A4, à quoi aura-t-il servi ?
A emballer un autre bijou ? Il a peut-être transité par Katako, transportant de la poudre de bec de toucan ?
Ce n’est pas grave de perdre un bracelet. Il nous reste le papier. Je l’ai gardé comme un fétiche. Ce témoignage d’amour écrit en lettres rouges, de la main de ma bonne à tout faire – même et surtout le beau temps de la maison. Sauf le jour du départ, elle a fait la pluie.
19 mai 2014
Le grand silence blanc
Nos voix, nos regards
toutes nos pages effrités
miette par miette
avalés dans le grand éboulement/sablier
Chandelle soufflée
l’une après l’autre
petit à petit feu(e)
Mais se propagent les passerelles
et nous dansons
dans la marge du grand silence blanc
3 juin 2017
Fragments de rêves
Je rêve souvent d’une maison.
Je ne la connais pas mais c’est toujours la même.
La plupart du temps, j’y suis poursuivie.
Je cours dans le dédale des couloirs, j’ouvre des portes et des portes.
Une nuit, c’est l’entrée que je ne trouvais pas.
Trop de haies écloses en condamnaient l’accès.
Un inconnu dans la pénombre m’a fait signe de le suivre.
Il montait les marches pavées de lauzes
d’un escalier creusé à même la terre.
Une de ses semelles (il avait des souliers de berger)
faisait des étincelles en claquant sur les pierres.
La dernière fois, l’océan était à la fenêtre.
J’encourageais un surfeur sur la crête d’un raz de marée.
1er juin 2017
Rustines
Mettez-moi des patches sur la mer
Sur l’écume du sel
Aux marches des palais de printemps
Aux façades que traverse l’ombre des mouettes
Mettez-moi des patches au cœur
Comme l’on met des patches de goudron
Pour rapiécer les routes
Raccommodez-moi ce soleil
18 mai 2016
Hội An !
Musique de Bruno Coulais
28 mai 2017
Chronique Taxi
Dialyse Pasteur sonne et s’affiche sur l’écran.
Allo, décroche Christian Taxi.
Dialyse Pasteur dit : Madame Roux à 11 h 10.
Allo, qu’est-ce que vous dites ?
Dialyse Pasteur répète : Madame Roux à 11 h 10.
Mais Madame Roux à 11 h 10 c’était hier…
Ah excusez-moi, je me suis trompée d’agenda.
C’est pas grave, au revoir
parle Christian Taxi à son écran éteint.
Nostalgie 93.5 flonflonne années 80
des pistes jaunes de bal de village.
Trois montagnes sont descendues.
Trois montagnes sur la banquette
échangent les dernières nouvelles
de la vallée commune :
une terre trop grasse pour les lentilles,
un chien de chasse dans le jardin
avec les coussinets en sang,
un col du fémur,
une alzheimer sanglée
au lit des urgences
― si c’est pas malheureux,
une femme si tranquille ―
un enterrement
― c’est un soulagement, le pauvre.
Moi je voudrais partir comme Mamie.
Pas encore et/mais heureuse
emportée un matin serein
sans avoir eu de longue maladie foudroyante.
26 mai 2017
Ci-vit
Tenir à jour ma chronique d’une naissance annoncée
échapper les mots comme des rivières de laves
des éboulis de nuits encore et encore
ensevelies
hisser les pierres sèches de nos talus
utiliser les gravats des cloisons abattues
refaire un chemin
trouver même un peu ce que j’étais
quand tu ne m’existais pas
je cherche encore où poser ma pancarte ci-vit
ce n’est pas comme ça qu’on avance
rien autour de moi ne peut plus ressembler à ce que je connais
s’emmêler les nuages
et chuter
si perméable à tes peurs plurielles
si facile à cibler dans ta ligne d’admire tardive
mais tellement survivante à ce que l’on était
20 novembre 2011
Morcelé

Il fait ciel aujourd’hui
tout carrelé qu’il soit
Les nuages chavirent
d’un azur morcelé à l’autre
15 mai 2017
Actions poétiques
Actions poétiques à l’église de Sigale (06) le 7 mai 2017
avec Serge Pey et Chiara Mulas, Pierre Ouellet, Patrick Quillier, Apirana Taylor et Manuel Van Thienen
11 mai 2017
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