
Quinzième volet
Voyage…
A propos de L’or saisons de Clément G. Second
Une Orpailleuse de finitudes
L’or saisons
de Colette Daviles-Estinès
illustrée par Philippe Croq
(Éd. Tipaza, 2018)
Qui, avant de le tenir enfin entre ses mains puis d’y engager ses regards, ne le connaissant pas encore mais l’ayant un peu deviné par assiduité aux Volets ou vers, le riche blog accueillant de la poète, et aux revues, au chaleureux Lichen d’Élisée Bec dont chaque numéro publie de ses textes en particulier – qui donc ne s’ennuyait souvent, impatiemment, de L’or saisons ?
Dans cet ouvrage aux pages végétales, branches-feuilles souples accolées au tronc du dos, les poèmes de Colette Daviles-Estinès fascinent par une constante beauté diffractée en inflexions menant très loin, et l’art de Philippe Croq intercale des peintures polysémiques comme autant de superbes jalons et relais complices.
Sa découverte, lexique et picturale, procure un multiple plaisir, un enchantement. Étrangère au virtuose, au péremptoire, au savant, mais au contraire amie des présences et signes, les apprivoisant, les creusant, s’y apprivoisant aussi, proposant en partage tout un cheminement parmi eux, la parole inspirée de Colette Daviles-Estinès suscite ce rare bonheur.
Parole traversée, et du lent, nuancé tournoiement des saisons rendu par un paysagisme lié à l’intériorité, et de saisies instantanées touchant parfois à la captation pure, et d’une vivance (selon le mot de la poète) évolutive à même le truchement varié, complexe, du monde, non abstraite de lui. Parole-tentative et parole-découverte, à la fois très vibrante, chatoyante et d’un tracé si sûr, comme nécessaire, avec ce quelque chose de parfait d’un geste calligraphe. On devine par quelles mailles fines, quelle exigence personnelle sans préjudice du naturel, de la fantaisie même, quel dû à la Langue aussi, d’abord et toujours, l’attention à l’alentour et à soi de Colette Daviles-Estinès infuse, passe et passe, se tamise jusqu’à l’obtention d’un parachevé – sans prétention, à l’instar de l’absence de majuscule à l’or du titre.
Les citations se bousculent ; en voici plusieurs dont on identifiera ou devinera les liens avec les traits ci-dessus dégagés (pardon pour les poèmes ainsi morcelés, mais ces passages devraient donner envie de les lire…).
Accrocher un verbe bleu aux phrases du vent (Arrimer en pays d’automne, p.19)
Le souvenir est neuf, je l’ai puisé demain (Le courant des rivières, p.23)
Jeter à la mer / l’amer des choses (Avec des si, p.25)
Je passe à gué ma solitude / Le ciel se propage (Éternité, p.29)
Prendre le pouls de l’hiver / Aux poignets nus des arbres (Un hiver au soleil, in Albâtre, p.48)
C’est à se prendre les pieds dans la lumière (Le temps se lève, in Albâtre, p.48)
Frotter les mots – têtue – / aux tessons de la nuit / User beaucoup de silence (Têtue, in Nocturnes, p. 60)
C’est plein de vivance dans ma vie (La vivance, p.74)
C’est du silence qui traverse / noir velours / une pipistrelle (Pipistrelle, p.89)
Une mouche fouille la chair de l’air / elle vibre et s’agace / au carreau bleu du jour (Chaleur, p.90)
Jour bleu torride / compact / Façade de ciel lisse / Aucune prise sur les mots / et j’écris que / je n’écris pas / Soudain l’invisible déchirure / d’un avion à réaction / … / Aucune trace pourtant (Bleu, p.93)
Écrire, et pourquoi non ? / … / Pourquoi non, le chiendent ? / Et même l’ombre, oui / même l’ombre rayonne, vénéneuse / épanouie (Et pourquoi non ? p.114)
Justement / il y avait comme une buée / sur les carreaux que je n’avais pas [Vers à travers verres (correcteurs), p. 121]
… Mais L’or saisons offre davantage à qui le découvre. Le recueil accède à la plénitude de cette première identité par la grâce d’un mouvement foncier de désir poétique qui de bout en bout le mène.
Au nombre des entrées plausibles dans le cœur de l’ensemble, celle-ci en particulier apparaît porteuse de pertinence. Il s’agit d’un désir incluant le courage d’être et de faire (selon l’étymologie du mot poésie) quelles que soient les variations intérieures ; d’assumer la Parole et ses valences, ses gratifications, les douleurs qu’elle met au jour, ses possibles dangers, ses ravissants inattendus. D’un poème à l’autre, l’audace du dire est un enjeu que gagne la loyauté ferme avec soi, le réel et la langue. Il y va de la métabolisation en substance de partage des ressentis qui visitant la poète la touchent, la mobilisent. Une énergie, volonté et amour de la vie confondues, la pousse à embrasser toutes choses éprouvées – dans un élan toutefois indemne d’illusion.
Car Colette Daviles-Estinès n’est pas dupe des limites du chemin, des données fuyantes ou adverses de l’existence : en un mot-clef, d’aucune finitude. Si par exemple mélancolie, solitude, nostalgie, sentiment de vanité ou d’insuffisance n’ont pas le dernier mot de ses pages, ils les visitent, que ce soit en sourdine ou par élancements, concurremment aux inclinations heureuses, confiances, sourires, rencontres du beau, déclinaisons du sens. Comment en serait-il autrement dans une vivance authentique dénuée d’auto-bercement ? Dès lors, que faire dans l’émouvant ici de vivre, marqué d’une façon ou d’une autre, même partiellement, par la carence ontologique ? Combien, à la place de la poète, verseraient dans le ressentiment ou la plainte, ou encore le désabusement esthétisant, etc. Le cap tenu par elle n’a rien à voir avec de telles compensations. Son cours est quête d’un lointain de profondeur, quête toute de sincérité, de présence réceptive et questionnante, intense, recueillie même, parfois échardée d’un vertige de pari ou aiguillonnée d’humour, « Allant vers » (on aura reconnu le début du titre de son précédent, superbe livre de poésie) la part de non-leurre, le petit peu à l’épreuve des mélanges, la fine pointe qualitative, le presque rien précieux, infime éparpillé ou ondoiement furtif, tremblant, comme fragile, friable, palpitant autour de la poète et en elle, ineffable mais décelable, approchable, intimement vécu et transmis par la grâce des mots et silences mutuellement accordés… l’or des saisons soi-même, poussière, paillettes et pépites de toutes les saisons et aspects d’une voie de par le monde. Et au moins autant, à travers ces scintillements, veine mise au jour d’un pur talent confirmé de haut carat incontestable.
Si l’interprétation sous l’angle du désir poétique n’en exclut pas d’autres éventuelles, la lecture et relecture attentive de ces pages immersives et souvent bouleversantes convainc de sa validité. Les citations qui suivent par exemple, quelques-unes parmi tant d’autres possibles, présentent plus que l’apparence d’une justification. Mais qu’elles servent avant tout, comme les précédentes, la vérité d’une œuvre magnifique. Qu’elles invitent à y entrer.
j’ai joué ce qui reste / j’ai gagné ce qui vient / le vent charrie du ciel, les oiseaux des rivières / ma vie, un allant vers (La vie en crue, p. 40)
Existe-t-il une pause dans le temps / Dans l’espace ? / Se dire je souffle un peu / … / un non-lieu / en fin / au large de toutes les nuits ? (Non-lieu, p.46)
Du bonheur plein le regard / Juste ce regard-là / sans se retourner (Aube, p.51)
J’échangerais tous les oublis / pour une seule parcelle de mon trajet inachevé / infini / Soif de vivre / une vie à tous les vents (Soif, p.54)
Le bec d’une tourterelle / un brin occupé…(Printemps, p. 55)
Je m’approprie le soir boisé / – la part rauque des chevreuils– / et j’ai la clef de la rivière (Ici, p.73)
À vrai dire je ne sais que faire / de ces vers cueillis dans l’été / tels des bribes de songe /… / Seulement un poème / dans le sens des aiguilles / à détricoter le temps (Champêtre, p.76)
Et dans le torrent, le soleil / rush d’étinclles à flot bouillon / … / Ce peu de loin / entre les mailles (Ce peu de loin, p.78)
Ce silence est-il truqué ? / … / Je peux aimer longtemps ainsi / attendre / que le ciel s’averse (Et cette nuit ? p.99)
Cascadent les chants d’eau / des ruisseaux qui assaillent chaque porte de la terre / Laisser au bord des routes / les parapets flanqués de bouquets de mémoire / … / Je suis riche héritière de l’aube et de son souffle (Remise de peines, p.109)
Faire ce que je dois : / … / Laisser filer les rives / la rivière / les passeurs de comètes (Ce tout poème, p.113)
Qu’importe si le vent ressasse la lumière / c’était vivement vivre / vivement vivre loin (Ce livre, la vie, p.128)
Voici enfin un poème (p.126) retranscrit en entier. Qu’on y trouve, condensés, le don de simplicité magique et la façon d’être si attachante, humaine parmi les humains, de la poète – autant dire, son exemplarité.
Laisse dire
On m’a dit c’est bleu
ce que tu écris
On m’a dit mais
c’est bleu nuit
Alors aujourd’hui
je n’ai prononcé que des oiseaux
Ils battent de leur aile
le parvis des jours
…À présent le livre est reposé. Le regard le quitte.
En deçà du regard, cette sensation, claire comme une certitude, que l’or saisons fait mieux que d’habiter les pages.
Il y germe.
Clément G. Second
septembre 2018
Sonnailles
Un troupeau coule le long des lavandes
L’eau des sonnailles
irrigue le silence
7 septembre 2018
Enfances
Toi, tu tombais des falaises
de chacune de tes nuits
Tu tombais, tu tombais
ricochets de sanglots
Moi, c’étaient des planètes
qui tombaient, qui tombaient
qui me tombaient dessus
L’enchanteur effrayant
surgi on ne sait d’où
et poupées barbouillées de feutre
à cloche-pied nu
sur la marelle disloquée du monde
5 septembre 2018
A propos de L’or saisons
Makronissos
Makronissos, non
on ne peut pas
voir le bleu du ciel et de la mer
Cette échappée de bleu aveugle et cinglant
Les hommes que l’on décolorise
survivent ici en écrivant
de toutes leurs couleurs d’hommes
Au revers de leur nuit
– noire est la nuit de Makronissos –
les couleurs de la vie s’amoncellent
échouées sur la grève
morcelées, fragmentées, brisées
Des bris de vers
Traces muettes dans les pierres
Makronissos, le silence
résonne encore longtemps après
que se soit tue la voix
des hommes qui ne souffrent plus
Makronissos on ne peut pas
non
voir le bleu du ciel et de la mer
22 août 2018
On dit que dans les camps de Makronissos,
il y avait tant de poètes
qu’on retrouvait des poèmes
accrochés sur les barbelés
Noctiluques
J’ai retenu toutes les lumières
des noctiluques dans l’eau noire
aux bourdonnantes constellations
des terres vues d’avion
L’enfance s’attable
nourrie de paillettes
Musique inextinguible des couleurs
malgré le rêche et la morsure
le rictus mordant accroché
aux babines des corbillards
Le sel des étincelles
sous le talon de la vie
Entends comme elle est rouge
la musique latérite des pierres
sous le sabot des troupeaux
Saxo solo
traînée de poudre mélopée
comme un départ de feu
et les congas éclatent
Une odeur de menthe foulée
du soleil d’encre plein les doigts
Et la voix qui rallume
le pays mal éteint
des vols de nuit
9 août 2018
Matrie aux éditions Henry
Matrie à paraître officiellement au mois de septembre 2018.
Mais m’attendaient d’ores et déjà quelques exemplaires dans ma boîte aux lettres.
Petite éternité avec Fumika Sato
Le visiteur du presque soir
Musique de Agnès Obel « Falling, catching » dans Philarmonics
La punition
Demain, pas classe toute la matinée. C’est ce que j’avais écrit sur mon cahier de textes comme sous la dictée de la maîtresse. J’avais sept ou huit ans.
Ma mère l’avait cru et m’avais ramenée à l’école le lendemain après-midi. J’étais contrariée, j’aurais dû écrire toute la journée et non pas matinée. J’étais une bonne élève mais détestais l’école.
Qu’est-ce qui est arrivé à Colette ce matin ? a demandé la maîtresse à ma mère.
Je me suis échappée dans la cour pour ne pas écouter la suite.
Mais le soir même, après l’école, lorsque ma mère est rentrée de son travail, elle m’a arraché des mains le Peter Pan que j’étais en train de lire, elle m’a confisqué tous mes contes de Grimm et d’Andersen, tous mes Comtesse de Ségur (qui me déprimaient, il faut bien le dire), ma Rubrique à Brac de Gotlib rapportée de la bibliothèque, tous mes Club des cinq et Clan des sept, bref, j’ai été privée de lecture pendant quinze jours.
17 juillet 2018
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