Ma première poupée cousue n’était pas vaudouce mais bien vaudou. Si si, vous avez bien lu. Une poupée sur laquelle j’avais fiché plein d’épingles… La seule et unique dans le genre.
Elle était très grossièrement cousue, mais elle était à l’effigie d’un charmant voisin. C’était le beauf de Cabu dans toute sa splendeur crasse. Nous l’appelions le gros dégueulasse.
Il était reconnaissable à son bleu de travail et à sa moustache. Je n’avais pas eu l’idée de lui faire une armature en fil électrique comme mes poupées vaudouces parce qu’il était tellement rigide du cerveau que je n’imaginais pas lui donner la moindre souplesse. De toutes façons, le courant ne passait pas entre nous… Nous l’appelions aussi le résidu secondaire (ne pas confondre avec le terme de “résidence secondaire” que nous utilisions pour nos autres voisins).
Il avait cassé un de nos asperseurs d’arrosage en le flanquant par terre sous prétexte que l’eau débordait sur son terrain. Terrain dont il ne faisait strictement rien et qu’il laissait s’envahir de ronces.
Il avait tué deux de nos poules qui s’étaient échappées chez lui, je le soupçonne d’avoir auparavant ouvert la porte du poulailler…
Il avait massacré nos ruches sous prétexte qu’elles étaient trop proches et qu’il risquait d’être piqué. Avec manifestement un produit rémanent parce qu’aucun nouvel essaim ne voudra y rester.
Il avait mis du fil de fer barbelé en travers de notre champ de pommes de terre sous prétexte qu’on avait dépassé la limite (de cinquante centimètres sur une longueur de cinquante mètres). Il avait attendu qu’elles soient prêtes à être ramassées pour récolter celles qui se trouvaient chez lui.
Il avait roulé avec son 4X4 sur nos potimarrons sous prétexte qu’ils étaient plantés sur un terrain qui lui servait de passage pour accéder à ses… ronces.
Il avait saucissonné à coups de machette sur un kilomètre, le tuyau qui servait à arroser nos cultures. Un tuyau branché à une source à trois kilomètres de là. C’était un été évidemment, bien caniculaire et sec, il avait donc assassiné nos semis…
Il n’arrêtait pas de nous envoyer les gendarmes pour un oui, pour un non. Il réclamait un droit de passage dans notre cour privée pour pouvoir passer avec sa toy-gros-tas car il voulait se garer juste devant sa maison, il ne supportait pas de marcher vingt mètres. Il appelait donc la gendarmerie s’il nous trouvait en train de charger nos cagettes de légumes dans notre voiture, ce qui arrivait invariablement le lundi soir, veille de marché, parce que ça l’empêchait de passer. C’était du harcèlement. Les gendarmes en avaient d’ailleurs marre et ne voulaient plus se déplacer. Parce qu’ils avaient quand même compris quelle sorte d’emmerdeur il était, lui qui voulait se faire passer pour un bon citoyen respectable…
Il voulait nous obliger à enlever le fil électrique qui courait dans les arbres et qui alimentait la clôture électrique dont nous nous servions pour empêcher les sangliers de faire des dégâts dans nos patates et nos carottes. Sous prétexte que ce fil s’accrochait à une branche de SON arbre, un malheureux prunelier le long du chemin.
A propos d’arbre, nous avions un magnifique et généreux figuier à la frontière de nos terrains respectifs. A qui appartenait-il ? Il aurait fallu faire venir un géomètre pour le savoir. Pour nous montrer qu’il était forcément à lui et nous empêcher de cueillir les figues, il l’avait abattu…

Cet individu nuisible vivait le reste du temps dans le Var et je plains ses voisins à l’année car il se vantait d’avoir des procès partout… J’en passe et j’en oublie.
Alors moi sous prétexte qu’il commençait copieusement à m’exaspérer, celui-là, j’en avais fait une poupée vaudou. Sans illusion aucune mais pour me faire plaisir. Je l’avais cousu de toute ma rage.
Il était ventru à souhait et bien mollasson car entièrement en tissu pour pouvoir le cribler d’épingles absolument partout.
La première chose que les copains (tous les copains !) faisaient en arrivant à la maison, était de déplacer les banderilles. Olé !

 

28 novembre 2020