La chatte s’appelait Miel Miaou, c’est le nom que mon petit garçon de fils lui avait attribué. Nous ne gardions jamais ses petits mais nous avons gardé Jean-Louis. C’est le nom que mon ado de fils lui avait attribué (le même fils, il avait grandi).
Drôle de nom pour un chat mais il n’en était pas à une anomalie près. Car ce chat était dénaturé.
Certes, il avait tout d’un chat normal. Ni plus beau ni plus moche qu’un autre, deux oreilles, une queue, des moustaches, les yeux verts.

Nous l’avons gardé, Jean-Louis, parce qu’il avait la particularité d’avoir été élevé par Wallaye, une de nos chiennes.
En même temps que Miel Miaou, Wallaye s’est tout d’un coup mise à donner tous les signes d’une mise bas imminente. Ventre énorme et montée de lait. Nous étions intrigués, il ne nous avait pas semblé qu’elle attendait des petits, pourtant ! Force fut de constater qu’elle faisait une grossesse nerveuse.
Nous avons trouvé Miel Miaou et Wallaye toutes les deux terrées dans la cave entre les cagettes de pommes de terre et le sac d’orge pour les cochons.
La chatte avait fait quatre chatons, quatre tigrés roux, tout comme elle. Ils se ressemblaient tous.
Nous pouvions repérer Jean-Louis au fait qu’il avait le cou en permanence mouillé. Il était mouillé parce que chaque fois que la chatte s’absentait, Wallaye le prenait par la peau du cou pour le ramener entre ses pattes et lui offrir son ventre aux mamelles gonflées. Elle voulait le faire sien.

Déviance génétique ? Car il faut dire que Ouaga, sa mère, avait elle aussi tenté d’adopter un bébé chat alors qu’elle venait d’accoucher de Wallaye. Elle avait volé un chaton à Miel Miaou qui avait mis bas dans les bambous et avait tenté de l’élever. La chatte venait le reprendre et Ouaga repartait le chercher. J’ai plusieurs fois assisté à leurs aller-retours, le chaton dans la gueule de l’une puis en sens inverse dans la gueule de l’autre. Jusqu’à ce que la chatte abandonne la partie. Hélas, les tétines de la chienne étaient trop grosses pour le bébé chat, il n’a pas survécu, ne pouvant pas téter.
Mais Wallaye avait donc passé les premiers jours de sa vie avec ce frère félin contre son flanc, leurs odeurs de chiot et de chaton mêlées.
Heureusement, elle laissait Miel Miaou lui reprendre Jean-Louis chaque fois qu’elle venait le chercher pour l’allaiter. Ensuite la chienne allait le récupérer pour le ramener contre son ventre.
Elle écartait les pattes lorsque nous venions la voir, comme si elle était fière de le montrer, son beau bébé roux bien nourri qui grandissait ainsi entre deux mères. Chéri et doublement léché.
Lorsqu’il a commencé à marcher et à s’aventurer hors de la cave, Wallaye le surveillait jalousement et le prenant par la peau du cou, ne le laissait pas longtemps dehors, surtout s’il y avait du monde.
Il n’est pas étonnant alors que ce chat ait un comportement de chien. Il me suivait partout puisqu’il suivait mes chiennes. Il attendait à l’ombre d’un chêne, que j’aie fini mon travail comme “sa mère” Wallaye, “sa grand-mère” Ouaga et plus tard “sa sœur” Nawak.
Lorsque je repartais, les chiennes vigilantes m’emboîtaient automatiquement le pas. Mais je ne pensais pas à appeler Jean-Louis qui s’était assoupi quelque part, dans les rangées de haricots.
Lorsqu’il se réveillait et qu’il s’apercevait de notre absence, il remontait à la maison en protestant. Nous l’entendions miauler de tout en haut. Il miaulait tout le long du chemin, manifestement indigné d’avoir été abandonné. Nous ne pouvions pas le voir mais nous pouvions suivre tout son parcours.

Il miaulait en traversant le bosquet de pruneliers, il miaulait en longeant l’enclos des cochons, il miaulait sous l’arcade des bambous, il miaulait toujours en franchissant le seuil de la maison, il miaulait encore en s’affalant sur le carrelage de l’entrée.
Ne nous concédant pas un ronronnement avant très, très longtemps.

 

10 août 2019