Pour le Fée’Stival Coquelicots et Bleuet quel beau bouquet ! il m’a été demandé d’écrire un texte afin de témoigner de ma vie de maraîchère. A vrai dire, parler de légumes ne me passionne pas plus que ça. J’ai aimé ce métier malgré sa dureté, j’ai aimé ma vie. J’aimerais mieux parler de mes chiennes. Ou des copains. Non ? Bon. Ce qu’on appelle une saison à 900 mètres d’altitude est une saison très courte. Semer planter biner désherber arroser cueillir. Arriver à gagner l’argent de toute une année en cinq mois. L’été, les journées sont longues. Dès le réveil, à 6 h du matin, avant même de prendre le premier café, descendre dans la campagne pour changer l’arrosage de place. Nous n’avons qu’une source d’alimentation en eau. Une source justement, captée à 3 km de là et acheminée par un seul tuyau le long de la route. Nous devons faire des rotations pour arriver à tout arroser. Tout au long de la journée, changer l’arrosage de place. Après le repas du soir, attendre minuit pour redescendre dans la campagne et le changer une dernière fois pour la nuit. Avec les chiennes. Semer planter biner désherber cueillir. Je suis la reine du désherbage à la main des carottes. J’ai la patience pour ça. Je peux le faire pendant des heures sous le soleil. J’aime la chaleur. Les lundis d’été, cueillir les haricots aussi, c’est mon truc. Cueillir pendant des heures sous le soleil. Suivie de mes chiennes qui avaient appris à ne jamais marcher dans les légumes. Dès qu’elles voyaient que la terre était prête à être cultivée, elles n’y posaient plus une patte. Elles rampaient le long de la parcelle où je travaillais, parfois tendaient le cou pour attraper délicatement un haricot pour goûter. Finir même à la tombée de la nuit, à l’aveugle. Mes doigts continuent à voir, eux. Cueillir sous la pluie battante des orages aussi. Pas le choix. Les mardis sont jours de marché, les lundis il faut cueillir, même s’il pleut. Parfois commencer le dimanche parce qu’il y a le reste à cueillir aussi. Les poireaux, les carottes, les tomates, les courgettes, les salades, les céleris, les betteraves, les radis, les navets, les salades, les fenouils, les épinards, les choux. L’automne, les oignons et les patates sont déjà ramassés et stockés dans la cave, les courges, les potimarrons sont rentrés au chaud dans la maison. Mon record de cueillette de haricots, 100 kg à moi tout seule en une journée. Ensuite il faut les trier, en trois catégories. Les gros, les moyens, les fins. Ça, j’aimais moins. J’étais assise à une table ce n’était pas fatigant mais ça m’agaçait les doigts. Et puis la fête malgré tout, toujours. Faire à manger pour des tablées de copains. Mais les copains m’aidaient, aussi. Faire la fête, passer une nuit totalement blanche et au lever du soleil, descendre dans la campagne pour changer l’arrosage et cueillir… Mis à part les oignons et les patates, il faut tout laver pour enlever la terre. Les cueillettes d’automne sont les pires. On a encore tous les légumes d’été et déjà tous les légumes d’hiver. Laver et éplucher les poireaux dans une brouette emplie d’eau, brosser les carottes et faire des bottes. Je me souviens du premier lundi très froid d’automne, l’eau dans la brouette pleine de poireaux était si glacée que j’ai voulu ajouter un arrosoir d’eau chaude pour que ce soit moins pénible. Mais l’eau gelait instantanément au fur et à mesure que je la versais. Vers la fin de l’été, nous disions Vivement cet hiver qu’on se repose. Mais l’hiver, la moindre vaisselle, ou lessive, tout est plus compliqué aussi. L’eau de la maison venait du village à 2 km de là, dans un tuyau à l’air libre le long de la route. L’hiver, ne surtout pas oublier de laisser couler un filet d’eau au robinet dès la tombée du soir. Sinon elle gelait. Repérer alors les bouchons de glace et dégeler le tuyau au chalumeau. Attendre que la neige fonde, pour cela. En attendant, puiser de l’eau dans le bassin où se jette l’eau de la source (casser la glace du bassin, avant). Mettre la machine à laver le linge en route et veiller, au sifflement particulier qu’elle avait, pour verser un arrosoir d’eau chaque fois qu’elle appelait à boire. On a réussi à ne pas la flinguer, gentille machine. L’hiver, c’est la saison des truffes aussi. C’est une autre histoire…