Pourtant il y avait la mer, au Gabon.
Une mer avec laquelle j’avais un rendez-vous quotidien. Dans laquelle je nageais, brassais, crawlais, pataugeais, marinais de manière voluptueuse. De toute ma joie gosse.

Elle était à portée de regard. Je la voyais depuis le plongeoir tendu entre le ciel et l’eau.
Alors que faisions-nous à la piscine ce jour-là ? Avec qui étions-nous venues ? Avec la mère de Véronique, ou la mienne ?
Et pour quelle raison ?
C’était peut-être à cause de la marée d’équinoxe qui provoquait immanquablement un déferlement de méduses ?
Il n’était pas rare à cette saison, de croiser dans les rues des gens qui portaient sur la peau de leur visage, de leur torse, de leurs membres, des balafres cloquées de brûlure.
Peut-être était-ce pour que nous fassions connaissance avec d’autres enfants, élargir le couple d’inséparables que nous formions, Véronique et moi ?
Des enfants, dans le grand bassin comme dans le petit, il y en avait à peu près six au mètre carré.
J’étais une timide maigrelette. Je ne savais pas nager dans ce bain de bras et de jambes.
Elle était de plein ciel, cette piscine. Mais était-ce les parois de mosaïque marine ou le béton carrelé blanc des margelles ? Les rires et les cris y avaient une résonance particulière et je ne savais pas parler dans cette stridence.
Juchée sur l’échelle bleue du plongeoir, je regardais la mer. Elle était trop loin pour que son odeur de sel me parvienne. Le chlore me faisait froncer le nez.
Véronique était plus sociable et moins timide que moi. D’ailleurs un garçon l’avait abordée et ils avaient l’air de sympathiser. J’ai lâché les barreaux de mon perchoir et me suis approchée.
Je n’aurais pas dû, j’étais de trop. Tout au moins pour le garçon qui me jeta un regard noir.
Véronique nous présenta gaiement. Je crois me souvenir du prénom d’Eric.
Il avait bien deux ans de plus que nous, il devait avoir une douzaine d’années.
Il était joli garçon, brun de cheveux et de peau.
Ta copine, dit-il à Véronique, c’est une chintok.
Je sentais du mépris dans le vocable utilisé.
J’avais l’habitude d’être interpellée dans la cour de l’école ou dans la rue par des enfants gabonais.
Chinoise, me disaient-ils gentiment. C’était une constatation de leur part. Ce n’était jamais agressif.
J’ai su depuis mon plus jeune âge que Chinois, Vietnamien ou Japonais, les gens ne font pas la différence. Je rétorquais tout aussi gentiment Gabonais. Et l’échange s’arrêtait là.
Eric n’était pas gabonais, je lui précisai que j’étais un peu vietnamienne.
Il fit comme s’il n’avait rien entendu et continua à s’adresser à mon amie sans me regarder.
– On lui voit les côtes, à ta copine. Les chintoks, ils sont tous rachitiques et ils mangent dans les poubelles.
– T’es pas gentil, a protesté Véronique.
Voyant qu’il n’y aurait plus de flirt possible avec elle, il sauta dans l’eau en criant pour couvrir le bruit de son éclaboussure : Colette côtelette squelette !

J’ai bu la tasse de sa parole javel, éclaboussure de méchanceté ammoniaque à piquer les yeux.
J’ai ressenti une brûlure, j’en suis restée longtemps balafrée cloquée.

18 novembre 2015